Sommaire
- ASTM E2500 : let's cross the Bridge !
- De l'étude du contexte à l'emploi de technologies de traitement des eaux adaptées
- Une nouvelle stratégie de gestion de l'eau en industrie pharmaceutique
- Cahier Pratique - Les boucles d'eau purifiée et la qualification. Focus sur la QP
- La mesure en continu dans l'eau à usage pharmaceutique (EUP)
- Candida auris, une espèce pathogène émergente "tueuse"
- Cleaning and disinfection program part of the lifecycle approach: a risk based rather arbitrarily imposed approach
- Eaux pharmaceutiques : les dessous de la maintenance des installations
- Pharma & the New Healthcare Economy. Ready or not ?
Ce n’est une surprise pour personne, l’eau représente un enjeu capital pour les industries pharmaceutiques. Qu’elle soit utilisée pour les formes sèches, les formes liquides, comme excipient de produits liquides non stériles, de solution de nettoyage ou comme matière première de médicaments administrés par voie parentérale, celle-ci est omniprésente. Elle peut être présente dans 80% des formulations de médicaments.
Fort de ce constat, celle-ci doit faire l’objet d’une attention particulière quand l’industriel identifie un besoin de production. Cet article se propose de vous donner les clefs et la méthodologie à appliquer depuis la détermination de vos besoins, jusqu’à l’établissement d’un outil de production d’eau adapté et fiable.
1. Contraintes et opportunités normatives
L’industrie pharmaceutique rime très souvent avec procédure et norme. Les productions d’eau n’échappent pas à la règle. De l’eau dite “brute”, à l’eau utilisée dans son application finale, des réglementations s’imposent créant, selon comment on les perçoit, des contraintes ou à contrario des opportunités.
1.1 Les types d’eau
L’eau “brute” et donc, l’eau à partir de laquelle l’industriel doit débuter son process, doit être potable. Aucun critère ne sera explicitement détaillé ici car une eau liquide est dite potable lorsqu’elle présente certaines caractéristiques (concentration en chlorures, pH, température…) la rendant propre à la consommation humaine.
Les standards de référence dans ce domaine diffèrent selon les époques, les pays et, dans certains pays, selon l’autorité responsable de la définition1. Le concept de “potabilité” varie à travers le monde, fruit d’un contexte historique, scientifique et culturel local.
Si aucune autorité locale ne norme l’eau, les critères de l’Organisation Mondiale de la Santé font références.
L’eau produite quant à elle, est régie par des textes clairs : les pharmacopées et leurs monographies. Elles varient selon l’application qui en est faite.
L’eau purifiée vrac
Elle peut être produite par distillation, échange d’ions ou par tout autre procédé approprié à partir d’une eau répondant aux réglementations sur l’eau destinée à la consommation humaine. Elle ne contient pas d’additifs. Cette eau purifiée vrac est utilisée pour la fabrication de principes actifs, de formes sèches, comme excipient de produits liquides non stériles, non apyrogènes et comme solution de nettoyage et de rinçage du matériel en préparation.
L’eau hautement purifiée vrac
Elle peut être produite par tout procédé approprié (l’ultrafiltration étant une des techniques les plus sûres combinée à d’autres) à partir d’une eau répondant aux réglementations sur l’eau destinée à la consommation humaine. Elle ne contient pas d’additif.
Cette eau hautement purifiée vrac est utilisée pour la fabrication de principes actifs, de formes sèches, comme excipient de produits liquides apyrogènes non injectables et comme solution de nettoyage et de rinçage du matériel de préparation. En règle générale, cette eau est utilisée dans le cas où une haute qualité biologique est requise. Néanmoins, elle ne rentre pas dans la fabrication de médicaments stériles sauf dérogation des autorités compétentes.
L’eau pour préparations injectables vrac
Si durant des années cette eau a différé de l’eau hautement purifiée vrac du fait qu’elle devait impérativement être préparée par distillation (pharmacopée européenne), la commission pharmacopée européenne du conseil de l’Europe a acté en mars 2016, la non obligation de passer par cette dite distillation à partir d’avril 2017. Celle-ci s’alignant sur la pharmacopée américaine.
Si les critères de qualités n’ont donc pas changé, les process autorisés eux ont évolué, autorisant ainsi les procédés membranaires couplés à des étapes d’électrodéionisation et d’ultrafiltration.
1.2 Opportunités
Si de prime abord, l’obtention d’une qualité physico-chimique et bactériologique strictement normée paraît compliquée à partir d’une eau potable par définition variable sur ces mêmes critères, les évolutions réglementaires telles que la révision de la monographie eau pour préparation injectable de la pharmacopée européenne, propose un large éventail de solutions technologiques qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Ceux-ci se présentent tant en coûts d’investissements, qu’en coûts d’exploitation, en robustesse, en TCO (Total Cost of Ownership),… Il apparait alors indispensable de structurer une réflexion autour de ce thème.
2. Une stratégie claire
2.1 Définitons
A toute stratégie à définir, le plan d’action s’impose, et le listing des tâches à venir peut se résumer comme dans la Figure 1. Lorsque l’on applique cette méthodologie aux systèmes de traitements des eaux, une règle s’applique. Partons de la fin (les utilisateurs finaux) pour revenir au début (ma qualité d’eau potable et mon système de production).
2.2 Prérequis indispensables et art de la synthèse
La somme d’informations qui vous sont propres sont indispensables à l’établissement du chaînage optimum et peuvent être résumées sous forme de checklist :
- Quel médicament je produis, et quelle monographie y est associée ?
- Quel est mon timing d’amortissement ?
- De quelles utilités je dispose et quels en sont leurs coûts (eau glacée, vapeur, eau potable, …) ?
- De quelle place je dispose ?
- Quel est le niveau de formation de mes équipes sur une technologie donnée ?
- Etablir un chronogramme précis de mes besoins en eau (quantité, débit, heure, nombre d’utilisateurs, température)
- Quelle est la qualité de mon eau d’alimentation ?
Sur ce dernier point, il est à noter qu’une seule analyse paraît bien insuffisante comme aide à la définition du design. En effet, les variations saisonnières, les maillages opérés par les villes impliquent une campagne d’analyses sur une année complète permettant de juger des valeurs les plus contraignantes sur des paramètres de l’eau tel que son pouvoir colmatant, sa minéralité, sa concentration en silice…
3. Choix technologiques
Ici encore, nous partirons de la fin pour revenir au début, et il faudra imbriquer l’ensemble des critères listés ci-dessous pour trancher efficacement.
3.1 Facteurs de choix
Notez que ce comparatif se base uniquement sur les coûts directs, ne sont pas pris en compte ici, les coûts des analyses externes, …
Mon eau va-t-elle être utilisée à froid ou chaud ?
Si communément les eaux purifiées sont distribuées à froid et les eaux pour préparations injectables à chaud, il est important de connaître qui utilisent quelle quantité d’eau et à quelle(s) température(s) afin de déterminer au mieux le régime de maintien en température et par conséquence, le juste maintien de la charge microbienne par le mode de désinfection.
Systèmes de désinfection à disposition
Si une simple lecture de ce tableau ferait pencher naturellement la décision sur l’ozonation, celle-ci est à pondérer avec la température d’utilisation de l’eau, le temps disponible à cette opération et le coût de vos utilités.
Systèmes de productions à disposition
(cf. tableau 5)
3.2 Pour l’eau purifiée vrac
Il est admis que pour produire de l’eau purifiée vrac, les technologies envisageables sont :
- La bi-osmose
- L’osmose couplée à l’électrodéionisation
- La thermocompression
Au vue du comparatif ci-dessous (cf. tableau 5), il apparaît très nettement que le rapport TCO, CAPEX, peut être un critère décisionnaire fort si l’on prend les producteurs de manière unitaire. Les consommations d’utilités, la place disponible et la qualité de votre eau potable sont aussi des critères déterminants. En effet, de fortes minéralités, la présence de silice, une variabilité importante sont autant de critères orientant naturellement vos choix.
3.3 Pour l’eau pour préparation injectable
“L‘EPPI […] s‘obtient à partir d‘eau conforme aux réglementations sur l‘eau destinée à la consommation humaine […] ou à partir d‘eau purifiée. Elle est produite suivant des procédés soit de distillation […] ou de purification équivalents à la distillation. L‘osmose inverse simple ou double, couplée à d‘autres techniques adéquates telles que l‘électrodésionisation, l‘ultrafiltration ou la nanofiltration répondent désormais aux exigences réglementaires. Un avis doit être adressé à l‘autorité de surveillance du fabricant avant mise en œuvre. Pour l‘ensemble des techniques, le bon suivi des opérations et la bonne maintenance du système sont essentiels. Afin d‘assurer la bonne qualité de l‘eau, sont exigés : la validation des procédures employées, la mesure en ligne de la conductivité et le suivi régulier du carbone organique total et de la contamination microbienne. Les premières eaux obtenues au démarrage du système sont rejetées.“
Source: http://www.ema.europa.eu/docs/en_GB/document_library/Scientific_guideline/2016/08/WC500211657
Depuis avril 2017, la pharmacopée européenne autorise d’autres technologies que la distillation. Voici donc une formidable opportunité d’élargir le champ des possibles et les technologies envisageables pour la production d’eau pour préparation injectable sont donc :
- La simple ou double osmose couplée à l’électrodéionisation associée à de l’ultrafiltration
- Les 3 types de distillateurs.
Si la question des différences de qualité d’eau produite est à exclure (chaque système étant capable de fournir une qualité équivalente), il est bien plus intéressant de s’attacher dans un premier temps à l’intérêt que peut apporter une production dite à froid. Viendra bien assez vite ensuite le comparatif ci-dessus (cf. tableau 5), exprimant les différences de coûts/consommation…
Mesurer l’intérêt d’une production à froid, passe également par une check list :
- Développement durable : à quel point la consommation de ressources est importante pour vous ?
- Vos utilisateurs consomment-ils de l’eau chaude ou froide ?
- Coûts des utilités : quelle est la part du coût des utilités dans le coût de production totale ?
- Autorisation et exigences réglementaires : comment vais-je déclarer cela aux autorités et avec quelles ressources ?
Si vos utilisateurs consomment principalement de l’eau chaude, que le coût de vos utilités sont marginaux, et que votre amortissement permet l’achat de système plus onéreux, il sera privilégié les systèmes de distillation car ils sont éprouvés dans vos usines, vos techniciens sont plus formés et cela n’enclencherait pas de qualification différente. A l’inverse, si la pertinence de produire à froid devait apparaître, voici les grandeurs d’une étude interne à avoir en tête.
Conditions de l’étude :
- Amortissement : 10 ans ; 300 jours de fonctionnement/an ; 20 heures de fonctionnement/jour ; Eau de rejet 2 €/m³ ; Energie : 0,2 €/kwh ; Vapeur industrielle : 8 barg 175C: 35 €/t ; Eau glacée : 3 €/m³ ; Eau d’alimentation : eau potable (RO-RO-EDI) 1,50 €/ m³, Eau purifiée (Distillation) 5,70 €/m³
- Pour une production de 3,6 m3/h : l’économie totale réalisée en passant d’un distillateur à une solution membranaire est de l’ordre de -65% €/m3 d’EPPI.
- Pour une production de 10 m3/h : l’économie totale réalisée en passant d’un distillateur à une solution membranaire est de l’ordre de -54% €/m3 d’EPPI.
Le choix entre ces quatre technologies est donc bien à pondérer par les informations recueillies en début de projet et détaillées dans le paragraphe 2.2.
Conclusion
Nous avons vu, à la lecture de ces quelques pages, à quel point l’étude du contexte qui est propre à chacun, impacte l’ensemble des décisions qui seront prises afin d’obtenir la solution la plus adaptée. Apparaît alors l’ampleur de la tâche et le sérieux nécessaire à la caractérisation de données d’apparence simple mais relativement complexes à compiler comme le coût réel de votre eau et de vos utilités.
Pierre CULLMANN – BWT
Ingénieur chimiste spécialisé dans le traitement des eaux, Pierre a pour responsabilités principales, l’accompagnement des industriels dans la détermination de leurs besoins en production d’eau à usage pharmaceutique, mais intervient également en tant que formateur et expert sur des problématiques de design, de qualification et d’assistance technique. Son champ d’action va de la France, aux pays du Maghreb et sur le suivi de certains comptes partout dans le monde pour BWT.
pierre.cullmann@bwt.fr
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Sources
– EMA QA on production of water for injections by non-distillation method.._Ph-Eur 0169_draft_EN
– Source : www.ema. uropa.eu/docs/en_GB/ document_library/Scientific_guideline/201 /08/ WC500211657.pdf
Bibliographie
[1] Par exemple, aux Etats-Unis, la FDA, l’EPA ou les Etats n’ont pas les mêmes critères et recommandations pour l’eau potable, ou pour les eaux du robinet ou embouteillées.
[2] United states pharmacopoeia
[3] Pharmacopée européenne
[4] Japanese pharmacopoeia
[5] Chineese pharmacopoeia