Juin 2024
La Vague n°82
Délocalisation des unités de production / Analyse de risques
Sommaire
- Analyse de risque transport produit
- Risk Management for Avoidance of Drug Shortages
- Major outcomes of the common A3P/ECA/PHSS/AFI/BPOG Survey on current industry practices for the inclusion of Local Isolates in the GPT & on-going discussions on the relevance of that expectation
- How to design a digital transformation architecture at Life Sciences organizations
- Antibiotic powders Maximum safety & efficiency during filling
- GMP 2022 et la vapeur du procédé de stérilisation. Bien comprendre comment épargner temps et argent
- Optimisation de l'évaluation du risque chimique dans l'industrie pharmaceutique. Le rôle des outils de modélisation de l'exposition aux agents chimiques dangereux
Optimisation de l'évaluation du risque chimique dans l'industrie pharmaceutique : le rôle des outils de modélisation de l'exposition aux agents chimiques dangereux.
De nos jours, toutes les réglementations entourant la production et la commercialisation de substances « chimiques » convergent afin d’améliorer la protection des travailleurs et des consommateurs. Ces différentes réglementations agissant de concert, les normes, les points de surveillances et de contrôles s’additionnent chaque jour un peu plus. L’introduction en 2007 de la réglementation européenne 1907/2006 (dit réglementation REACH) a en effet marqué un tournant décisif dans l’application de ces normes au niveau européen. Introduisant la notion essentielle : “pas de données, pas de marché” cette réglementation a eu pour conséquence une augmentation du nombre de test toxicologique sur un très grand nombre de substances chimiques produites et importés sur le territoire européen. Conduisant ainsi à une meilleure connaissance des produits et de leurs dangers associés.
Ajoutons à ce premier point l’évolution du marché des ingrédients pharmaceutiques pharmacologiquement très actifs (HPAPI) en Europe et dans le monde qui est marquée par une croissance significative. La crise sanitaire a mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis des importations d’API depuis l’Asie, entraînant des initiatives de relocalisation et d’investissement dans des usines européennes à l’images des projets français “Innovation Santé 2030” et “France 2030”.
Les HPAPI sont des composés qui provoquent une réponse biologique à de très faibles doses et possèdent des valeurs d’exposition maximale (OEL) très faibles (moins de 10 μg/m³ ) ; Dès lors, leur manipulation est un véritable challenge pour les équipes opérationnelles. L’objectif de cet article est la mise en lumière de l’utilisation des outils de modélisation de l’exposition aux produits chimiques développés dans le cadre de REACH, et leurs avantages par rapport au système OEB traditionnel, largement déployé dans l’industrie pharmaceutique, afin d’évaluer les risques opérateurs de manière plus fine.
1. Évaluation du Risque Chimique dans l’Industrie Pharmaceutique
Plusieurs facteurs majeurs se conjuguent aujourd’hui pour façonner la protection des travailleurs dans l’industrie pharmaceutique.
Premièrement, une connaissance accrue des dangers des molécules manipulées.
Deuxièmement, une prise de conscience des risques liés à l’exposition, accompagnée par des réglementations internationales de plus en plus strictes, visant toutes à protéger les travailleurs.
Troisièmement, la production croissante de nouvelles molécules, notamment les HPAPI, toujours plus pharmacologiquement actives.
Quatrièmement, la concurrence, obligeant les industriels à réduire les temps et les capacités de production. La convergence de ces facteurs pousse ainsi à la recherche de nouvelles solutions pour assurer la sécurité des travailleurs. Historiquement, avec environ 85 000 produits chimiques commercialisés et seulement approximativement 1000, disposant d’une valeur limite d’exposition, cela a conduit l’industrie pharmaceutique à se tourner vers une méthodologie semi quantitative/semi qualitative de la gestion du risque lors de la mise en oeuvre de ces nouvelles molécules : la méthode OEB (Occupational Exposure Banding system).
La méthode OEB
Le système OEB est ainsi la méthode traditionnellement utilisée pour catégoriser les substances chimiques selon leur dangerosité potentielle et leur risque d’exposition. Ce système, promu par des organismes comme l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA) et le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH), classe les substances en différentes bandes d’exposition basées sur des données génériques. Les niveaux OEB varient généralement de 1 à 5, avec le niveau 1 correspondant à des substances à faible risque et le niveau 5 à des substances extrêmement dangereuses. Par exemple, certains solvants organiques peuvent être classés en OEB 2, tandis que les HPAPI peuvent atteindre les niveaux OEB 4 ou 5 en raison de leur toxicité élevée.
2. Limites du Système OEB
Le système OEB, bien que largement utilisé, présente plusieurs limitations. Sa nature générique peut entraîner une classification peu précise pour des substances spécifiques. Le manque de personnalisation du système OEB lui impose des limites car il ne prend pas en compte les conditions de travail spécifiques, les caractéristiques des substances, et les mesures de protection déjà en place. Par exemple, un HPAPI classé en OEB 5 pourrait nécessiter des mesures de contrôle très strictes, même dans des situations où soit des mesures de protection efficaces sont déjà en place ou soit par exemple le niveau de dilution ne justifie pas le niveau de confinement suggéré par les systèmes OEB, ce qui peut entraîner des coûts supplémentaires important et une perte potentielle d’efficacité. Par exemple, une manipulation effectuée sous boite à gants n’engendre pas les même contraintes qu’une manipulation sous hotte aspirante, que ce soit en termes de temps de manipulation, d’inconfort des opérateurs ou de coût d’équipement.
3. Les Outils de Modélisation de l’Exposition : Une Alternative Prometteuse
Dans le cadre de la réglementation REACH, chaque Substance/ mélange importée et/ou fabriquée en Europe doit être enregistrée auprès de l’ECHA : l’Agence européenne des produits chimiques.
Les entreprises doivent identifier et gérer les risques liés aux substances qu’elles fabriquent et commercialisent dans l’UE. Elles doivent démontrer comment la substance peut être utilisée en toute sécurité, et communiquer les mesures de gestion des risques à ses utilisateurs.
Pour répondre à la réglementation, plusieurs outils de modélisation de l’exposition, tels que l’Advanced REACH Tool (ART) et l’ECETOC Targeted Risk Assessment (TRA), ont été développés. Ces outils utilisent des bases de données d’exposition aux substances chimiques et des modèles mathématiques pour simuler les expositions, également appelées « scénarios d’exposition ». Contrairement au système OEB, ces outils tiennent compte des spécificités des substances, des voies d’exposition, des conditions de travail, et des mesures de protection existantes. Ils offrent une évaluation plus précise et personnalisée des risques, permettant ainsi des décisions plus éclairées et des mesures de contrôle mieux adaptées.
Leur utilisation pour l’évaluation de l’exposition des travailleurs dans le cadre de REACH est décrite dans les guides de l’ECHA. Il s’agit donc d’outils reconnus, validés et recommandés par l’ECHA.
4. Avantages des Outils de Modélisation par Rapport au Système OEB
Les outils de modélisation offrent plusieurs avantages par rapport aux méthodes traditionnelles d’évaluation des risques.
Ils permettent une évaluation plus précise et personnalisée des risques, prenant en compte les spécificités des substances et des conditions de travail. L’évaluateur peut ainsi prendre en compte différent facteurs importants comme la ventilation, les espaces de travails, les différents types d’EPC, les temps d’exposition. Les résultats sont exprimés en unités facilement exploitables, en mg/m3 par exemple pour les dangers liés à l’inhalation.
Ajoutons qu’ils sont plus rapides et moins coûteux à mettre en place que le déploiement d’une campagne de mesure généralisée. Une fois la première évaluation réalisée grâce aux outils de modélisation l’évaluateur peut alors se concentrer sur l’évaluation d’une substance ou une activité représentative pour venir confirmer par une mesure au poste de travail la validité de la modélisation. En effet, le retour d’expérience que nous avons concernant ces outils ont démontrés que les valeurs modélisées étaient conservatrices par rapport à des valeurs obtenues lors d’une campagne de mesures. Bien que les valeurs modélisées conduisent à une surévaluation de l’exposition, les ordres de grandeurs restent similaires et permettent de prendre des décisions éclairées sur un “pire-cas” qui sera protecteur par rapport au niveau réel d’exposition.
Cette approche permet aux entreprises d’économiser du temps et des ressources précieuses. En outre, elle permet également d’anticiper les risques et de mettre en place des mesures de contrôle proactives, renforçant ainsi la sécurité et la conformité des sites de production. En effet, si l’utilisation des outils de modélisation permet de visualiser une situation à un instant “t”, elle permet également de se projeter à un instant “t+1” dans une situation encore inexistante, comme lorsque vous projetez d’installer une nouvelle ligne de production ou introduire une nouvelle substance.
5. Applications Pratiques et Études de Cas
Dans une usine de production pharmaceutique manipulant une substance classée OEB 5, il est généralement recommandé, selon les bonnes pratiques de la démarche OEB, d’installer des boîtes à gants pour garantir la sécurité des travailleurs. Cependant, une analyse plus précise a révélé des disparités significatives dans l’évaluation des risques à différents postes de travail. Par exemple, certains niveaux d’exposition à un HPAPI étaient bien en dessous de sa Valeur Toxicologique de Référence (OEL<0.1μg/m3), parfois d’un facteur 1000, grâce aux mesures de protection déjà en place.
En revanche, d’autres situations ont montré une sous-protection des travailleurs. L’utilisation de ces outils a permis d’éclairer l’évaluateur sur les différentes actions à mettre en place. Ainsi, les investissements ont pu être orientés vers les postes les plus exposés. Cette approche a permis de déterminer si une ventilation par extraction mobile, fixe ou une hotte aspirante était nécessaire, évitant ainsi le recours systématique et coûteux aux boîtes à gants lorsque des solutions de protection moins contraignantes étaient suffisantes. Selon notre retour d’expérience, l’installation d’une hotte est à minima deux fois moins cher que l’installation d’une boite à gants.
Notons ainsi que malgré leur faible notoriété, en dehors de la Réglementation REACH, de plus en plus d’industriels s’emparent de ces outils, tous secteurs confondus, et en particulier au sein de l’industrie pharmaceutique.
6. Conclusion
En perpétuelle croissance, la recherche de la protection des travailleurs est aujourd’hui plus que jamais au coeur des enjeux de l’industrie pharmaceutique de demain. Meilleures connaissances des dangers actuels, développement rapide de nouvelles molécules, concurrence accrue des marchés internationaux, conduisent les décideurs à s’adapter et trouver de nouvelles méthodes de travail.
Les outils de modélisation de l’exposition offrent ainsi une méthode avancée et précise pour évaluer les risques chimiques. Ils surmontent les limitations du système OEB en fournissant des évaluations personnalisées et détaillées, permettant ainsi des décisions plus éclairées et des mesures de contrôle mieux adaptées, entrainant gains de coûts, de temps, de productivité et d’efficacité de production. L’adoption de ces outils est essentielle pour améliorer la gestion des risques chimiques, garantir la sécurité des travailleurs, assurer la conformité réglementaire et la compétitivité de l’industrie pharmaceutique.