Sommaire
- La restriction des PFAS dans l’industrie : enjeux réglementaires et impacts sur l’industrie pharmaceutique
- La technologie Blow-Fill-Seal dans l’industrie pharmaceutique : performance, applications et durabilité
- Key Allies in Preventing Contaminants and Impurities in Bioproduction
- Choosing the right vial: packaging sterile drug products with foresight
- Combination Products in the United States and European Union: Differences and proposed strategy to prepare common CTD Quality Module 3
- Blood plasma processing. When every drop counts
- L’analyse de la normalité en Continued Process Verification
- Qualification of impurities
- Pharma 2052
Pharma 2052
Je m’appelle Félix, j’ai 33 ans, et chaque jour, je me tiens au cœur d’un monde que personne n’aurait pu prévoir. En 2052, malgré les avertissements et les efforts de quelques visionnaires, nous nous retrouvons face aux conséquences inéluctables de nos choix passés.
Permettez-moi de vous raconter l’histoire de mon industrie, de notre lutte pour subsister dans un monde et l’exportation de produits pharmaceutiques hors d’Europe n’existent plus. Nous n’avons pas eu le choix.
Je suis responsable de l’assurance qualité dans l’un des 22 laboratoires de fabrication de médicaments de l’Union de Santé Industrielle Française (USIF), division injectables.
Sur notre site, nous fabriquons 15 des 350 principes actifs (API) essentiels pour le territoire français, et nous en formulons 30, tous sourcés en France. L’importation et l’exportation de produits pharmaceutiques hors d’Europe n’existent plus. Nous n’avons pas eu le choix.
Si vous avez connu la fin des années 2020, cette époque d’abondance, vous vous souvenez sûrement d’une course perpétuelle à la croissance. Il fallait toujours faire plus, gagner des parts de marché, conquérir des territoires, créer de nouveaux besoins.
Aujourd’hui, nous parvenons tout juste à subvenir aux besoins de la population, et je crois que c’est ainsi que cela doit être. Le marché français des produits de santé a été réduit de 90 % en l’espace de 30 ans. La chute a été brutale pour certains, fatale pour d’autres. Seuls ceux qui étaient préparés ont survécu et se sont organisés pour former l’USIF.
Affaiblies par des années de politiques de prix imposés, les usines de fabrication de médicaments, en particulier les génériques, avaient massivement délocalisé leurs approvisionnements en Chine et en Inde. La chaîne d’approvisionnement, morcelée à l’extrême à travers le globe, n’a pas résisté au choc. Tout le système a dû se transformer pour continuer à fournir des soins.
Même si en 2025 les discours politiques se concentraient sur la décarbonation, peu de groupes pharmaceutiques ont eu l’audace de prendre les décisions nécessaires à leur survie quelques années plus tard, sauvant ainsi des millions de vies : relocalisation et approvisionnement en circuits courts.
Ces projets, réalisés avec d’importants dépassements de budget et une aide massive de l’État, ont permis de relocaliser la synthèse des principes actifs en France. Toutefois, les résultats commerciaux ont été mitigés.
Poussés par la prise en compte systématique du bilan carbone dans les appels d’offres des établissements de santé, certains laboratoires ont pris le risque de réduire considérablement leurs marges pour s’assurer un approvisionnement local.
Heureusement, grâce à la cohérence de leurs actions, ils ont réussi, avant 2030, à sourcer en France ou en Europe la majorité de leurs composants. Cela les a rendus moins vulnérables aux fluctuations des prix du pétrole et a créé une base de fonctionnement durable et robuste pour une partie des produits de santé.
Deux événements ont ensuite accéléré la transformation :
– La lente augmentation du prix de l’énergie, causée par la hausse des prix du pétrole (le baril atteignant aujourd’hui 273 $, contre 90 $ en 2024).
– Une intensification du phénomène El Niño, exacerbée par le réchauffement climatique anthropique, provoquant une succession de vagues de chaleur et de sécheresses dans la zone Pacifique.
Cette hausse continue du prix du pétrole, combinée à la pénurie d’eau en Asie, a contraint les industriels à faire des choix drastiques concernant leur production. Les années 2030 ont été marquées par une augmentation progressive des pénuries de médicaments, de dispositifs médicaux, et de nombreux autres biens de consommation.
Si vous vous attendiez à un effondrement spectaculaire, comme décrit dans les films ou romans d’anticipation, vous avez été déçus. Le quotidien de ces années ressemblait plutôt à une lente dégradation dans un monde qui rejetait nos anciennes méthodes. Les biens de consommation non essentiels ont commencé à disparaître, soit parce qu’ils étaient devenus trop chers, soit parce qu’ils étaient impossibles à produire. Les priorités se sont recentrées sur l’eau, la nourriture, l’énergie, les médicaments, certains dispositifs médicaux et les systèmes d’information.
La communication entre les autorités publiques et les laboratoires a joué un rôle crucial. Au début, les autorités sanitaires exigeaient que les laboratoires respectent à la lettre les réglementations et les spécifications des autorisations de mise sur le marché (AMM). Confiantes dans les mécanismes du marché, elles ont accepté les arrêts de production dus à des ruptures de composants.
Peu à peu, tous les laboratoires qui s’approvisionnaient hors d’Europe ont dû cesser leurs activités.
Cela n’a pas touché uniquement le secteur pharmaceutique : les semi-conducteurs, l’électronique, les pièces métalliques, les batteries, etc., ont également été impactés. Mais contrairement au secteur pharmaceutique, ces industries ont pu se réorganiser, même si cela a été chaotique.
Dans l’industrie pharmaceutique, la combinaison d’une réglementation complexe et de la diversité des produits a rendu cette réorganisation impossible.
Les pénuries de médicaments ont atteint un tel point que les gouvernements ont fini par prendre des décisions pour préserver la production en fonction des besoins urgents de la population. Mais il était trop tard. Les besoins n’avaient pas été suffisamment anticipés.
Les laboratoires produisant des biens non essentiels, mais utilisant des ressources nécessaires aux secteurs vitaux, ont progressivement été fermés, leurs ressources redirigées vers la production essentielle.
La multiplication des ruptures de médicaments a entraîné une hospitalisation massive des patients chroniques, surtout en cardiologie, endocrinologie et immunologie. Les hôpitaux, déjà surchargés, ont été doublement affectés : trop de patients et plus de produits ni de matériel pour les soigner.
Cette période a été marquée par le deuil. C’est alors que les choses ont commencé à s’organiser. Du chaos a émergé une certaine cohérence.
Des kits de culture de subsistance ont été distribués à ceux qui disposaient d’es- pace pour produire une partie de leurs besoins alimentaires, les chaînes d’approvisionnement étant gravement affectées. Ces pratiques ont amorcé un changement profond dans la manière dont la société fonctionnait, avec un recentrage sur l’entraide entre petites communautés décentralisées.
Des décisions surprenantes mais salvatrices ont été prises pour préserver les soins. Des champs nationaux de plantes médicinales ont été créés dans chaque département afin de répondre aux besoins de soins mineurs, la production chimique de synthèse étant arrêtée pour les produits à faible valeur ajoutée.
Une filière tout entière, centrée sur les préparatoires des pharmacies d’officine, a vu le jour en l’espace de 10 ans pour répondre aux besoins les plus urgents.
L’industrie cosmétique a été entièrement absorbée par la production de principes actifs, ses équipements d’extraction étant déjà performants et disponibles.
La production de solvants a également été fortement impactée. Des solvants comme l’acétone et le toluène, coproduits issus de l’industrie pétrochimique, sont rapidement devenus indisponibles. Une partie des processus de synthèse a dû être modifiée pour s’adapter à ces nouvelles contraintes, en utilisant par exemple l’éthanol, toujours disponible. Ces changements ont entraîné de longues périodes de rupture.
L’utilisation massive de la télémédecine a également permis d’éduquer la population sur les méthodes d’utilisation de ces traitements et de prioriser l’utilisation des maigres ressources thérapeutiques disponibles.
Les quelques sites produisant des molécules indispensables qui ont réussi à poursuivre leur production, rivalisant d’ingéniosité et d’adaptabilité, se sont regroupés sous une même bannière, unissant leurs ressources et compétences. Leur survie a été possible grâce à l’intervention de l’État et à la coopération entre les pays, les groupes internationaux auxquels ils appartenaient ayant rapidement fait faillite.
En 2038, un état des lieux a été dressé : une commission composée de médecins, pharmaciens et industriels a établi la liste des produits indispensables et les moyens de les produire pour rétablir l’espérance de vie de la population à un niveau équivalent à celui des années 2020.
La croissance et le marketing étaient morts. Les plannings de production n’étaient plus dictés par la loi du marché et des besoins imaginaires, mais par un besoin bien réel. Plus de redondance, plus de surproduction ; chacune de nos erreurs entraînait des ruptures fatales pour certains patients.
Petit à petit, les filières d’approvisionnement se sont reconstruites, plus locales, plus simples. La production a augmenté d’année en année afin de subvenir aux besoins des réfugiés climatiques, de plus en plus nombreux.
La décarbonation de l’industrie a été davantage subie que choisie. Ceux qui l’avaient anticipée dès le début ont sauvé des millions de vies, mais au prix d’un travail acharné.
Aujourd’hui, toutes les recommandations des manuels de décarbonation sont suivies par défaut, mais plus personne ne se soucie de son empreinte carbone.
Et la réglementation, dans tout ça ? Les “bonnes pratiques de fabrication” existent toujours. On pourrait désormais les appeler les “meilleures pratiques de fabrication “. Pendant les années de crise et de reconstruction, leur application a progressivement été mise en pause. Une version beaucoup plus permissive des quelques dérogations accordées pendant la pandémie de COVID-19 a permis aux industriels de s’adapter en considérant systématiquement la balance bénéfice/ risque.
Au plus fort de la crise, les sites industriels sous tutelle du ministère de la Santé avaient carte blanche pour produire. Le mot d’ordre était une approche bénéfice/risque poussée à l’extrême : le risque est-il plus important si le patient prend le produit ou s’il ne prend rien ?
Cette pratique pourrait paraître choquante, mais il faut se rappeler qu’il n’y avait aucune alternative pour certains médicaments ; seuls les produits “vitaux” restaient disponibles. Les décisions étaient donc prises rapidement.
Les changes control sont devenus le point central de la qualité opérationnelle. Tout était possible, à condition que le risque soit évalué, décrit et communiqué.
Chaque lot était accompagné d’un document additionnel répertoriant les risques potentiels identifiés par le laboratoire ayant fabriqué le produit.
L’un des avantages de cette période était la main-d’œuvre quasiment illimitée et une coopération avec les autorités sanitaires plus étroite que jamais. Tout le monde était aligné sur le même objectif : la santé publique.
La stabilité, les contaminations croisées, la validation du nettoyage : ces notions restaient importantes et étaient considérées du mieux possible en fonction du contexte et des moyens disponibles, mais elles n’étaient plus appliquées de manière aussi rigide qu’auparavant.
Dans la production de produits injectables, des entorses impensables aux pratiques du début du siècle ont été faites : par exemple, le niveau acceptable d’endotoxines (lorsqu’il était mesurable) dans une préparation est devenu une information, à prendre en compte en fonction de l’état du patient.
Les grands gagnants de la production stérile ont été les sites ayant conservé leurs installations en inox, car la quasi-totalité des sites utilisant des poches et tubulures à usage unique ne pouvaient plus produire.
En raison des pénuries, les formulations ont été simplifiées au maximum, bouleversant ainsi les standards de l’industrie. La formulation et le conditionnement n’étaient plus orientés que vers un seul objectif : utiliser ce qui était disponible. Dans les cas les plus extrêmes, les principes actifs étaient directement envoyés aux pharmacies pour y être répartis en gélules localement. Les seringues étaient systématiquement réutilisées après nettoyage et stérilisation. Le caoutchouc, quant à lui, a représenté et représente encore un défi majeur.
Avec le recul, il est facile d’identifier les actions qu’il aurait fallu entreprendre dès le début des années 2020, alors que tous les indicateurs annonçaient déjà la crise climatique. Si les laboratoires avaient pris le temps d’identifier leurs vulnérabilités, d’évaluer les risques pour la chaîne d’approvisionnement, les risques opérationnels, et surtout s’ils avaient commencé à mettre en place des mesures d’adaptation et de mitigation tout en rédigeant des plans d’urgence cohérents, cela n’aurait certes pas empêché la crise, mais le système de santé aurait peut-être directement évolué vers la transformation sans passer par l’effondrement.
Si l’Etat avait eu le courage de prendre les mesures pour que le système de santé fonctionne en collaboration étroite avec tous les acteurs — fabricants d’API, fabricants de dispositifs médicaux, industrie chimique, laboratoires galénistes, CDMO, hôpitaux, pharmacies, médecins — et avait réformé le système dans l’intérêt des patients et de la santé publique en retirant la “rentabilité” de l’équation, le système aurait pu être transformé avant la crise.
Aujourd’hui, en 2052, alors que je contemple le chemin parcouru, une chose est claire : les crises que nous avons traversées ont révélé notre capacité à nous adapter, à innover et à reconstruire sur des bases plus solides. Nous avons appris de nos erreurs, compris l’importance de la prévoyance et de la coopération.
Il est facile de faire cette analyse avec le recul, mais tout était clairement prévisible. Qu’aurais-je fait si j’étais né plus tôt ? J’aime penser que j’aurais pu faire la différence, à mon niveau. Mais le passé est immuable, et c’est vers l’avenir que nos regards doivent se tourner.
Nous avons redéfini les priorités, replacé l’humain et la planète au centre de nos préoccupations. Notre industrie, autrefois guidée par la rentabilité, est désormais dédiée à la survie et au bien-être collectif. Chaque défi surmonté nous a rendus plus forts, plus unis.
Alors, vous qui lisez ces lignes, retenez cette leçon : il n’est jamais trop tard pour agir. Chaque décision compte, chaque action a un impact. Vous avez le pouvoir de faire la différence, de choisir un chemin qui préserve plutôt que détruire, d’être les acteurs du changement plutôt que ses victimes.
Le futur dépend de nous tous. Ensemble, construisons un monde où la santé, l’environnement et l’humanité ne sont plus sacrifiés sur l’autel du profit. Un monde où les leçons du passé éclairent le chemin vers un avenir meilleur.
“Et vous, allez- vous saisir cette opportunité ? Allez-vous faire la différence ?”