Pourquoi et comment faire une caractérisation thermique d’un produit avant lyophilisation ?

Lors des étapes qui précédent la lyophilisation d’un produit, il est important de le caractériser au mieux. Selon sa nature, sera effectuée toute une batterie d’analyses qui permettront d’identifier sa taille, sa forme, sa charge, sa concentration, sa structure, son activité ; ou toute autre information qui permettra de le comprendre dans ses moindres détails.

La règle d’or en lyophilisation est de ne jamais ajouter d’ingrédient si son intérêt, pendant le cycle de lyophilisation, n’a pas été clairement déterminé. La caractérisation thermique contribue à la compréhension du comportement du produit pendant le cycle de lyophilisation.

1. Pourquoi faire une caractérisation thermique du produit ?

La lyophilisation consiste en un processus de sublimation de l’eau. Par nature donc, l’eau doit être solide, donc congelée avant d’être sublimée. Mais quid du soluté ! Les normes en vigueur imposent des critères cosmétiques au gâteau lyophilisé. En gros, le produit lyophilisé doit ressembler à une poudre bien compacte, si possible adhérente aux parois blanches, etc.

Si le soluté n’est pas solidifié, l’image que j’aime employer est de considérer le soluté comme un échafaudage que nous aurions emprisonné dans la glace sans préalablement l’avoir boulonné ; si je retire la glace, alors mon échafaudage s’écroule.

pourquoi et faire une caractérisation thermique d’un produit avant lyophilisation

En lyophilisation, cet effondrement (collapse) arrive généralement lorsque le produit dépasse une certaine température lors de la phase de séchage primaire, c’est-à-dire la phase où l’on va retirer l’eau de solution. Si je ne connais pas cette température, spécifique au produit, alors il sera difficile de déterminer la température idéale d’étagère et la pression de travail qu’il faudra utiliser pendant le cycle de lyophilisation. En effet, il est communément accepté que la pression de travail idéale en enceinte de lyophilisateur se situe entre 20 et 50% de la pression de vapeur en surface du gâteau de lyophilisation. Cette pression de vapeur est dépendante de la température ; sans connaître cette dernière, il est difficile de déterminer la pression idéale. CQFD ! En d’autres termes, c’est comme avoir un GPS dans sa voiture, sans avoir d’adresse à lui renseigner !

Notons également qu’un gâteau de lyophilisation bien constitué, non écroulé, aura aussi une incidence sur l’efficacité du séchage secondaire et l’extraction de l’eau dite liée du produit. Il est possible aussi de noter, en cas d’effondrement, une légère coloration du lyophilisat due aux réactions de Maillard, disons une légère caramélisation du produit, ce qui n’est pas souhaité évidemment.

2. Quelles températures faut-il caractériser ?

Idéalement nous cherchons à savoir à partir de quelle température dans le produit nous risquons d’observer un effondrement du gâteau de lyophilisation. Autrement dit, quand et pourquoi le soufflé au fromage va se dégonfler à la sortie du four !

Il faut définir 3 températures : la température eutectique TE, la température de transition de glace Tg’ et la température d’effondrement (Collapse) TC.

La TE définit exclusivement un produit cristallin et la Tg’ caractérise un produit amorphe. Nul n’est besoin de connaître précisément la différence entre cristallin et amorphe. Cependant et pour utiliser une autre image, si je me fais livrer une palette de briques bien rangées chez moi, l’ensemble est cristallin ; je pousse les briques dans mon jardin, l’ensemble est amorphe même si individuellement chaque brique reste cristalline.

Par expérience, moins d’un produit sur 100 que nous analysons dans notre laboratoire présente une caractéristique cristalline donc une TE ! Notons au passage que souvent, les termes “température eutectique” sont utilisés pour parler de la température critique ; ce qui constitue dans la majorité des cas, une erreur de langage puisque nous devrions parler plutôt par défaut, de Tg’ donc de température de transition de glace !

3. Doit-on parler de fonte eutectique ou d’écoulement visqueux ?

Si le produit est cristallin, et par conséquent une TE a été définie, alors, si la température à cœur de produit dépasse la TE pendant le séchage primaire, nous parlerons de fonte eutectique.

C’est l’exemple de notre échafaudage qui va s’écrouler brutalement. Le produit ressemblera sans doute à un caramel en fond de puits, avec probablement des gouttelettes en bord de contenants au- dessus du niveau initial de remplissage, signe d’une ébullition partielle pendant le cycle.

Si le produit est amorphe, cas le plus probable, alors une Tg’ a été définie et nous parlerons d’écoulement visqueux. Le produit va s’attendrir avec la température qui augmente, un peu comme le ferait un morceau de pâte à modeler que l’on étire; elle va s’étendre progressivement jusqu’à éventuellement rompre. Le produit présente alors des réductions de diamètre non régulières sur l’ensemble du cake par exemple.

Lorsque l’on mesure une Tg’, selon la méthode et l’équipement, on peut avoir une légère variabilité. Soit, on prend en compte le moment où je sens que la résistance de ma pâte à modeler commence à céder (onset), soit le moment où je ne sens plus de résistance de la pâte mais qu’elle continue à s’étirer sans rupture (offset). Le plus souvent, l’analyse nous propose une mesure de Tg’ “midpoint”, c’est-à-dire entre onset et offset. Quoi qu’il en soit, il est important de noter en ce qui concerne un produit amorphe, que s’il y a un effondrement, alors il se produira nécessairement après la valeur de Tg’ analysée. Donc, et ce afin de pouvoir définir la température d’effondrement la plus élevée possible (pour pouvoir travailler à la température d’étagère la plus élevée possible), il est préférable d’accompagner l’analyse de Tg’ par une analyse supplémentaire.

Il s’agit de déterminer la température d’effondrement TC qui sera nécessairement équivalente ou plus élevée que la Tg’, afin de ne pas se priver de la possibilité de gagner quelques °C pendant le cycle, sans toutefois affecter la qualité du gâteau de lyophilisation.

4. Quelles sont les différentes méthodes de caractérisation thermique ?

Afin de déterminer la nature du produit (TE ou Tg’), la méthode la plus commune est probablement la DSC (Differential Scanning Calorimetry). La DSC mesure le flux de chaleur “in & out” d’un échantillon sur une plage de températures par rapport à un échantillon référence, le plus souvent vide. De nos jours, la modulated DSC “mDSC” sera généralement préférée à la DSC. La mDSC permet de générer des rampes de températures avec une ondulation régulière ce qui permet de différencier les transitions thermiques réversibles (transition de glace) des non-réversibles (fonte eutectique). La mDSC permettra donc de dissocier des évènements thermiques au sein du produit qui ne seront pas observables en DSC classique. La mDSC permet de fait de séparer des événements concomitants; observables par exemple avec l’histidine, le mannitol ou la glycine.

Une publication de Biopharma Technology Ltd (BTL), DSC vs mDSC**, compare entre autres les résultats d’analyses d’un aliquot de 20μL d’une solution (1) de Mannitol 5% à 50.49mg/ml et d’une solution (2) mixte de Mannitol 2.5% à 25.24mg/ml + Glycine 2.5% à 25.55mg/ml. L’analyse des deux solutions a été réalisée sur une mDSC TA instruments Q100 d’une part et une station DSC450 Linkam avec contrôleurs LNP96 et T96 d’autre part.

L’analyse est conduite selon le protocole suivant :

Etape 1 : rampe de 20°C/min jusqu’à -70°C, puis 5 min de stabilisation à -70°C

Etape 2 : rampe de 5°C/min jusqu’à 20°C

En ce qui concerne l’analyse mDSC, la modulation est de 3°C/min.

 

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L’analyse mDSC de la solution (1) mannitol, montre un seul événement de cristallisation sur la ligne de flux de chaleur non réversible (non reversing heat flow) à -26.5°C avec un pic à -23.6°C puis une fonte du solvant à -2.6°C (Figure 1). Tandis que son analyse en DSC450 montre un événement de cristallisation à -25.3°C avec un pic à -24.2C puis une fonte du solvant à -3°C (Figure 2). Ce qui est tout à fait comparable.

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L’analyse mDSC de la solution (2) mannitol/glycine, va révéler plusieurs événements en commençant par l ’onset de la transition de glace de la glycine à -46.3°C ; et donc un changement de mobilité qui va entraîner la cristallisation de la glycine à -43.8°C. La transition de glace du mannitol démarre ensuite vers -34.8°C puis sa cristallisation à -34.1°C. La DSC450 révèle seulement les deux événements de cristallisation à -43.7°C et -33.5°C respectivement, événements presque concomitants aux 2 transitions de glace, les rendant très difficilement observables.

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Il existe une troisième possibilité, l’ATD-impédancemétrie (Analyse Thermique-Différentielle et d’impédance). Cette analyse est réalisée sur un Lyotherm, appareil développé par la société Biopharma Process System et le regretté professeur Louis Rey qui a transféré, depuis les années 2000, son activité de lyophilisation au Centre de Ressources Technologiques, Aerial.

L’ATD fonctionne sur le même principe que la DSC mais mesure le différentiel de température au lieu du flux de chaleur. Le Lyotherm permet également de mesurer la valeur d’impédance (Z) ce qui permettra entre autres, d’observer d’autres transitions du produit potentiellement causes de micro-événements tels que des micro- collapses par exemple. C’est pourquoi, nous préférons cette méthode puisque nous en tirerons plus d’informations.

Dans cet exemple on observe sur la ligne d’impédance en rose un début de ramollissement de la matière congelée que la ligne d’ATD en rouge ne nous aurait pas permis d’anticiper. De fait il arrive en effet que l’augmentation de la mobilité du matériau détectée en analyse d’impédance apparaisse à une température significativement inférieure à la détection de la température d’effondrement Tc mesurée par cryomicroscopie comme le montre la table ci-après.

L’objectif étant d’acquérir le maximum d’informations possible sur le produit, c’est pourquoi je préconise l’ATD-impédance et l’analyse Lyotherm plutôt qu’une mDSC ou une DSC classique. Cependant le choix d’une ou des méthodes à utiliser doit prendre en compte les considérations suivantes :

– Une analyse mDSC ou DSC requiert 20μL de produit tandis que l’ATD-impédance nécessite de 4 à 6 mL de produit. Le volume nécessaire pour réaliser l’analyse sera peut-être un critère de sélection au détriment de l’analyse.

– Une fois sec, vous devrez réaliser de nouvelles analyses de caractérisation thermique afin de déterminer cette fois la Tg et non plus la Tg’. Cette transition vitreuse du produit sec vous permettra de déterminer la température critique de stockage de votre produit. Cette analyse est généralement faite par DSC ou mDSC. Ainsi, un seul équipement vous permettra de faire les deux analyses.

– L’ATD-impédancemétrie est par nature la méthode spécifique aux applicatifs de lyophilisation la plus complète et la plus indiquée; notamment si votre dossier de caractérisation thermique doit venir nourrir votre dossier de validation de recette.

5. L’analyse de cryomicroscopie dédiée à la lyophilisation (Lyostat)

On a vu précédemment que la plupart des produits vont généralement révéler une température de transition de glace Tg’. Il sera alors fortement recommandé de compléter l’analyse par une cryomicroscopie; ou plus précisément une cryomicroscopie de lyophilisation (Lyostat), afin de déterminer entre autre la température d’effondrement dite de “collapse”, Tc.

Il s’agit d’observer sous une lame mince, une gouttelette de produit, cette lame est placée dans une cellule sous vide sur une platine dont on peut réguler la température. Ainsi il est possible d’observer le front de sublimation d’une couche mince de produit dans une cellule de lyophilisation.

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1 à 2μL d’échantillon est déposé sur lame de quartz montée sur un bloc d’argent. On couvre ensuite l’échantillon d’une lamelle de verre au-dessus d’une cale de 70μm comme suit :

L’échantillon est ensuite stabilisé à basse température, généralement -50°C, puis on fait le vide dans la cellule afin de générer de la matière sèche sur le front de sublimation. On augmente alors la température petit à petit jusqu’à entraîner une détérioration du front de sublimation. Cette détection est visuelle, mais il existe maintenant des options logicielles d’analyses d’images qui permettent de déterminer automatiquement la température à partir de laquelle l’altération du front de sublimation apparaît.

Il est possible, depuis l’observation faite en Figure 5, de baisser à nouveau la température de la platine afin de rétablir la structure de l’échantillon congelé pour affiner la lecture de la température d’effondrement et ainsi la déterminer avec plus de précision comme présenté sur la Figure 6.

La cryomicroscopie dédiée à la lyophilisation présente d’autres intérêts. Elle va par exemple permettre de visualiser des micro-effondrements sur des mélanges. Cela peut se passer notamment lors de la fonte eutectique d’éléments cristallins au sein d’une structure amorphe rigide ou inversement, c’est à dire l’écoulement visqueux d’éléments amorphes au sein d’une structure cristalline rigide.

La Figure 7 montre un mix glucose 1%/mannitol 2% où l’on peut voir des zones de micro-effondrements aux alentours de -41°C soit la température proche de la TC approximative du glucose.

On pourra aussi observer les formations de croûtes en surface produit également. Comme dans l’exemple Figure7bis.

Certaines matières peuvent présenter plusieurs températures critiques et coexister naturellement sous forme amorphe et cristalline, elles peuvent être définies dans la littérature comme étant métastables. Le mannitol présente cette caractéristique et si l’on estime, car très difficilement mesurable, sa température de transition de glace Tg’ aux alentours des -32°C, on connaît la température eutectique de sa forme cristalline à -1.4°C. On comprend donc l’intérêt de travailler en lyophilisation avec du mannitol cristallin qui nous permettra d’envisager des températures de travail plus élevées et donc potentiellement une durée de cycle plus courte. Il peut être intéressant dans ce genre de situation d’envisager un “annealing” consistant à :

1) réduire la température sous la Tg’,
2) stabiliser,
3) remonter la température entre la Tg’ et la TE,
4) stabiliser.

L’annealing ainsi réalisé doit permettre de privilégier le traitement thermique du mannitol sous sa forme cristalline.
Si votre cryomicroscope est équipé d’un polarisateur alors la formation de la forme cristalline engendrera un changement de couleur observable. Il est donc possible d’utiliser le cryomicroscope afin d’établir ou non l’intérêt potentiel de réaliser un annealing, et ce à des températures différentes.

Dans l’exemple en figure 8, il s’agit d’une solution de mannitol d’abord congelée puis ramenée à -5°C.

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Conclusion

Dès lors que vous souhaitez établir une recette de lyophilisation validée, il semble très difficile de ne pas procéder à une caractérisation thermique complète du produit. Sauf à s’astreindre à de nombreux essais fastidieux jusqu’à observer des altérations de vos gâteaux lyophilisés. L’approche consistant à définir préalablement le plus de caractéristiques possibles, pouvant influer sur le comportement du produit en cours de lyophilisation, vous permettra d’anticiper de nombreux écueils à éviter et également d’étoffer votre connaissance et votre maîtrise du procédé.

L’objet de cet article était de présenter les différentes méthodes de caractérisation thermique recommandées. La combinaison idéale pour votre caractérisation thermique consiste je crois à faire une analyse en ATD-impédancemétrie (dans la mesure où vous disposez de suffisamment de produit) suivi d’une cryomicroscopie. Cryomicroscopes qui aujourd’hui peuvent être équipés de station DSC. Ainsi la caractérisation thermique complète du produit permettra d’anticiper de nombreuses non conformités ou écueils et aussi d’avoir un dossier de validation complet et justifié scientifiquement.

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A Babin

Antoine BABIN – Biopharma Technologies France

antoine.babin@biophamatech.fr
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Acronymes

ATD-impédancemétrie Analyse Thermo-Différentielle et d’impédance

DSC Differential Scanning Calorimetry

TC température d’effondrement (Collapse)

TE température eutectique

Tg’ température de transition de glace