Apport des études de stabilités accélérées prédictives (APS) au développement pharmaceutique

La ligne directrice ICH Q1A(R2)(1), dont la première version date de 1993, certainement le texte qui génère le plus d’analyses au sein des entreprises pharmaceutiques. Bien qu’il ait permis une harmonisation des pratiques, ce texte reste axé sur les études de stabilité destinées aux enregistrements et correspond à une approche descriptive du comportement des principes actifs et des formes pharmaceutiques.

Stabilité : Image en avant

La ligne directrice complémentaire ICH Q1E(2) recommande 12 mois de recul en stabilité pour réaliser une analyse statistique afin d’extrapoler, dans le conditionnement étudié et pour une condition de température et d’humidité donnée, la date de retest ou la péremption de 12 mois au maximum. Les approches prédictives, qui émergent depuis quelques années, se révèlent très utiles lors des phases de développement car elles permettent de mieux appréhender le comportement des produits tout en étant plus rapides et plus économes en ressources.

 

1. Loi d’Arrhenius – application aux formulations liquides

La loi d’Arrhenius, qui traduit l’effet de la température sur la vitesse d’une réaction chimique(3), est applicable aux réactions chimiques en milieu homogène donc aux gaz et liquides. La loi d’Arrhenius peut s’écrire de deux façons (équations 1 et 2). Il est reconnu qu’elle peut être utilisée pour les formulations pharmaceutiques liquides et qu’elle permet de modéliser la vitesse d’une réaction chimique de dégradation en fonction de la température. A partir d’un plan d’expérimentation basé sur un vieillissement accéléré d’un produit à des températures élevées, il est possible d’en déduire la cinétique de la réaction à une température plus faible et par conséquent sa péremption(4).

 

Stabilité : Equation 1

 

Avec :

k : coefficient de vitesse de la réaction

A : facteur préexponentiel (très peu dépendant de la température)

Ea : énergie d’activation de la réaction (en J.mol-1)

R : constante des gaz parfaits (8,314 J.mol-1.K-1)

T : température en Kelvin

Il faut cependant veiller à ne pas induire de facteur de dégradation supplémentaire. Ainsi il convient de s’assurer qu’il n’y a pas de variation de pH engendrée par le produit de dégradation formé et il est conseillé de protéger les échantillons de la lumière. Enfin, comme la réaction d’Arrhenius est relative à une réaction de dégradation donnée, si plusieurs produits de dégradation sont formés, le comportement de chacun d’entre eux doit être modélisé.

 

2. De la modélisation des formulations liquides à celle des formulations solides

Les formes pharmaceutiques solides sont essentiellement inhomogènes et l’état solide diminue drastiquement la mobilité moléculaire des entités réactives. De ce fait, il a longtemps été admis qu’elles ne pouvaient pas suivre la loi d’Arrhenius. De plus, les modes de dégradation peuvent y être complexes du fait de possibles changements d’état de la structure solide du principe actif ou d’interactions entre le principe actif et les impuretés réactives des excipients. Les principaux facteurs de dégradation sont la température, l’humidité, l’oxydation, la lumière et le pH(5).

Une forme pharmaceutique solide subit la température extérieure au conditionnement et est plus ou moins protégée de l’humidité relative selon la nature de son conditionnement. Elle peut être plus ou moins protégée de l’oxydation par son conditionnement en cas de réaction avec l’oxygène de l’air, ou par sa formulation en cas d’interaction avec une substance oxydante de la matrice. En cas de sensibilité à la lumière, il est aisé de protéger le produit de celle-ci. Enfin le pH, qui joue un rôle direct pour les formulations liquides, intervient également en phase solide selon le caractère acide ou basique de certains excipients, mais comme dans le cas d’une substance oxydante, il est possible d’ajuster la composition de la formulation pour atténuer son effet. Ce sont donc la température et l’humidité relative qui interviennent systématiquement et de manière prépondérante sur la stabilité de la majorité des formes pharmaceutiques solides.

La démonstration de l’action conjointe de la température et d’un facteur représentant l’influence de l’eau a été réalisée en 1977 par un suivi, en chromatographie sur couche mince, de la décomposition du Nitrazepam dilué dans de la cellulose microcristalline(6). La prise en compte d’une variation exponentielle de la vitesse de dégradation avec l’humidité relative a été reprise en 2007 par Waterman(7) avec l’ajout d’un terme à la loi d’Arrhenius (équations 3 et 4). Le logiciel ASAPprime® de la société FreeThink Technologies(8) a été construit à partir de ce modèle. Il est à noter que l’effet de l’humidité peut être modélisé en exprimant autrement le facteur lié à l’humidité(9).

 

Stabilité : Equation

 

Avec :

k : coefficient de vitesse de la réaction

A : facteur préexponentiel (très peu dépendant de la température)

Ea : énergie d’activation de la réaction (en J.mol-1)

R : constante des gaz parfaits (8,314 J.mol-1.K-1)

T : température en Kelvin

B : facteur de sensibilité à l’humidité

HR : humidité relative (%)

Afin de faire subir l’humidité relative réellement souhaitée aux produits étudiés, le plan d’expérimentation est réalisé avec des échantillons non conditionnés. Les températures et les humidités relatives mises en œuvre peuvent s’échelonner de 40 °C à 90 °C et de 10 % à 90 %. La figure 1 représente graphiquement les conditions mises en œuvre pour une étude de stabilité accélérée prédictive et les conditions ICH usuelles. Du fait de la diversité des conditions à mettre en œuvre, les humidités relatives sont générées par des solutions salines sursaturées placées dans des contenants étanches qui contiennent également les échantillons de produits et éventuellement un capteur d’enregistrement de température et d’humidité relative.

 

Stabilité : Figure 1
Figure 1 : Comparaison des conditions de stabilité d’une étude ASAP plus des conditions ICH et projection sur les axes des paramètres de la loi d’Arrhenius

 

Comme pour le cas des liquides, il convient de se placer dans des conditions où il est observé les mêmes réactions pour chacune des conditions de température et d’humidité relative (T/HR). Pour ce faire il est nécessaire :

• De cibler les mêmes taux de dégradations pour toutes les conditions T/HR afin d’observer la même réaction et d’éviter des réactions en chaîne pour les conditions les plus sévères. Des taux de dégradation cible limités à 2 ou 3 fois la spécification permettent de se placer dans des conditions optimales.

• D’éviter tout changement de forme solide du principe actif étudié en tant que tel ou au sein d’une formulation. En effet, un changement de forme polymorphe ou une formation d’hydrate modifie la structure physique du principe actif qui ne se dégrade plus selon la même cinétique du fait d’une énergie d’activation différente ou de la même façon si d’autres produits de dégradation sont formés. En présence de ce type de phénomène, il faut éliminer les conditions concernées lors de l’exploitation des résultats, mais si des connaissances préalables permettent de connaître les limites à ne pas dépasser il suffit de réduire l’étendue des conditions T/HR appliquées lors de la mise en œuvre du plan d’expérimentation.

 

3. De l’étude en milieu ouvert à la modélisation d’une formulation conditionnée

La loi d’Arrhenius modifiée permet de simuler le comportement du principe actif en présence d’une humidité relative constante. Une fois formulé, celui-ci est exposé à une source d’humidité supplémentaire liée à la teneur en eau des excipients de la matrice et à l’eau éventuellement apportée par le procédé de fabrication. Sous humidité relative constante un équilibre est rapidement atteint, mais une trop forte humidité relative peut induire une déliquescence due à un début de solubilisation d’un des composants. Comme pour les transformations d’état solide du principe actif, cette humidité relative critique constitue une limite à ne pas dépasser dans le plan d’expérimentation. L’hygroscopicité du produit en fonction de l’humidité relative est déterminable par des mesures de sorption/ désorption de vapeur ce qui permet de construire un isotherme de sorption comme illustré par la Figure 2.

 

Stabilité : Figure 2
Figure 2 : isotherme de sorption/désorption d’un produit caractérisant son comportement sous différentes humidités relatives

 

 

Les conditionnements utilisés sont rarement totalement imperméables à l’humidité excepté les flaconnages en verre et les conditionnements en double feuille d’aluminium. Une fois le principe actif ou le produit fini conditionné, l’humidité relative à l’intérieur du conditionnement évolue vers une valeur d’équilibre en fonction de l’hygroscopicité des composants et de l’éventuelle présence d’un déshydratant. Par ailleurs, la perméabilité du matériau de conditionnement entraîne un échange d’humidité relative entre l’extérieur et l’intérieur du contenant comme schématisé sur la Figure 3. Cette perméabilité à la vapeur d’eau (MVTR) est également dépendante de la surface d’échange et de la température.

 

Stabilité : Figure 3
Figure 3 : Echange entre l’humidité relative interne du conditionnement et celle de l’extérieur (a) pour un pilulier avec l’éventuel équilibre dû à un déshydratant et (b) pour un blister

 

La combinaison des calculs cinétiques issus du plan d’expérimentation en milieu ouvert et des calculs thermodynamiques liés à l’évolution de l’humidité relative dans le conditionnement permet de calculer une cinétique de dégradation pour une condition donnée de température et d’humidité relative selon les caractéristiques du conditionnement. L’utilisation d’une densification statistique basée sur la méthode de Monte Carlo permet de construire un intervalle de prédiction autour de la cinétique de dégradation calculée. Le logiciel ASAPprime®, dont le principe de fonctionnement est illustré par la Figure 4, intègre des données d’hygroscopicité des excipients usuels et de perméabilité des principaux conditionnements mais il est également possible de saisir ses propres valeurs(8).

 

Stabilité : Figure 4
Figure 4 : Schéma fonctionnel du logiciel ASAPprime® de modélisation d’une APS

 

Le logiciel ASAPprime® présente l’intérêt, outre l’accès à des calculs validés, de proposer des outils d’aide à la modélisation (conception du plan d’expérimentation, graphes des résidus, graphes de l’influence des conditions ou paramètres Ea et B sur la modélisation).

 

4. Particularités des études de stabilités prédictives

4.1 Principe d’isoconversion

Toutes les réactions chimiques n’étant pas d’ordre zéro, les cinétiques de dégradation ne sont pas forcément linéaires. Le recours à une méthode d’isoconversion permet d’éviter de prendre en compte les équations cinétiques en ciblant le temps nécessaire pour obtenir un niveau de dégradation raisonnable pour chacune des conditions T/HR (d’où le terme d’isoconversion). Cibler un taux de dégradation autour de la spécification pour toutes les conditions T/HR permet d’obtenir des cinétiques de dégradation cohérentes, c’est-à-dire ne risquant pas d’induire des réactions secondaires(7,10). Idéalement les durées de conservation appliquées à chaque condition T/HR sont réparties entre la limite de quantification de la procédure analytique et 2 à 3 fois la spécification. Ce principe d’isoconversion est illustré sur la Figure 5.

 

Stabilité : Figure 5
Figure 5 : Principe d’isoconversion : cibler le même taux de dégradation pour toutes les conditions afin de s’affranchir d’une cinétique non linéaire

 

4.2 Résolution de l’équation d’Arrhenius

La résolution de l’équation d’Arrhenius sous sa forme logarithmique (équation 2) consiste en une régression linéaire de ln k en fonction de 1/T dont la pente correspond à -Ea/R, ce qui permet d’extrapoler le taux de dégradation à des températures inférieures.

La résolution de l’équation d’Arrhenius modifiée pour tenir compte de l’humidité (équation 4) nécessite de calculer les 3 coefficients A, -Ea/R et B. Une régression multi linéaire de ln k en fonction des variables 1/T et le %HR permet d’obtenir la projection planaire de la figure 1 dont les pentes du plan correspondent aux valeurs de -Ea/R et B. De la même manière, il devient possible d’extrapoler le taux de dégradation à des températures et humidités relatives différentes.

Avec 3 inconnues, 3 conditions T/HR suffisent pour résoudre l’équation d’Arrhenius modifiée. Mais afin de se donner la latitude d’éliminer une condition qui s’avérerait trop ou pas assez dégradante et de réduire l’incertitude sur les paramètres calculés, il est conseillé d’utiliser au moins 5 conditions T/HR de vieillissement.

 

4.3 Considérations pratiques

Les taux de dégradation étant limités et la durée de l’étude de vieillissement des échantillons étant très courte, il n’est pas utile de prévoir beaucoup de temps de conservation. Ainsi 3 ou 4 temps par conditions T/HR suffisent. Au total 15 à 30 échantillons sont collectés sur 2 à 3 semaines pour une étude de stabilité accélérée prédictive. Pour obtenir une bonne modélisation, il convient de réduire au maximum les sources de variabilité. Ainsi pour une analyse chromatographique il est préférable, autant que faire se peut, de quantifier les analytes par normalisation interne en tenant compte des surfaces du principe actif et de tous les produits de dégradation. En s’affranchissant de l’impact lié à la variabilité due à la prise d’essai (pesée pour un principe actif et teneur en principe actif pour un comprimé) et de celui lié à la répétabilité du système chromatographique, cette méthodologie de quantification permet de réduire au maximum l’échantillonnage. Ainsi une dizaine de mg de principe actif ou un seul comprimé peuvent suffire pour déterminer le taux de dégradation de chaque point de stabilité. Cette spécificité est très utile dans les étapes de développement pré-clinique lorsque les quantités de produits disponibles sont très limitées.

De ce fait des bocaux d’un volume de quelques centaines de millilitres fermant hermétiquement sont usuellement utilisés comme boîtes de vieillissement. Les échantillons et la solution saline destinée à générer l’humidité relative y sont placés dans de petits contenants ouverts(11,12), plus éventuellement un capteur pour enregistrer soit la température soit la température et l’humidité relative. Les bocaux sont placés dans des étuves de paillasse uniquement régulées en température.

La qualité du modèle est très dépendante de la précision des données d’entrées. Les données relatives au vieillissement des échantillons dépendent des équipements utilisés et de l’organisation mise en place :

• La température est facilement contrôlable avec précision : les températures relevées pour les étuves ou par les capteurs placés dans les boîtes de vieillissement sont utilisables,
• L’humidité relative est plus difficilement mesurable avec précision : les valeurs issues des abaques [sel / température / humidité relative] ou enregistrées par les capteurs sont utilisables selon le mode de fonctionnement mis en place,

• Le temps est très facilement mesurable : la durée exacte de la durée de vieillissement des échantillons est à prendre en compte. La qualification et le raccordement métrologique des équipements utilisés (étuves, capteurs température, capteurs température et humidité relative) est à définir selon le type d’étude réalisée – orientation de développement ou réglementaire pour déterminer une péremption – et selon les usages en place dans le laboratoire.

Par ailleurs la précision obtenue pour la détermination des teneurs des analytes dépend directement de la performance de la procédure d’analyse et des critères suivants :

• La sélectivité du système chromatographique : la résolution entre les pics doit permettre une intégration aussi spécifique que possible,
• La limite de quantification : le rapport signal sur bruit doit permettre de déterminer les taux de dégradation en pourcentage avec deux décimales.

La procédure analytique pourra être légèrement adaptée afin d’améliorer ces deux critères. Des compléments de validation seront alors à prévoir en fonction des critères de validation impactés par l’adaptation de la procédure.

Enfin afin de limiter les sources de variabilité, l’analyse des échantillons est à réaliser de manière isochrone, c’est-à-dire en une seule manipulation et au sein de la même séquence d’analyse de façon à s’affranchir des variations liées à la fidélité intermédiaire de la procédure d’analyse.

Au fur et à mesure du développement pharmaceutique, il est usuel d’augmenter le nombre de conditions T/HR ou de temps de sortie par condition en fonction des connaissances acquises dans les études précédentes. Ceci permet d’améliorer la précision du modèle ou d’augmenter la taille de l’échantillonnage afin de disposer d’une marge de sécurité au niveau analytique, voire de mettre en œuvre d’autres techniques d’analyse.

Une étude de stabilité accélérée prédictive mobilise donc peu de ressources puisqu’elle peut être réalisée avec quelques centaines de milligrammes de principe actif ou quelques dizaines de comprimés, en seulement 2 à 3 semaines de vieillissement des échantillons et en ne nécessitant la mise en œuvre que d’une seule analyse des échantillons.

 

5. Exemple

L’exemple présenté ci-après correspond à une étude réalisée sur des comprimés pour lesquels une précédente étude de modélisation a permis d’ajuster les conditions de température et d’humidité relative afin d’être dans des conditions d’isoconversion optimisées. La spécification de l’impureté suivie est de 0.2%.

Les conditions T/HR ont été générées par des solutions salines. Les températures et les humidités relatives relevées correspondent à celles des capteurs placés dans les boîtes de vieillissements avec les échantillons.

La mise en œuvre de cette étude a été réalisée en abaissant la limite de quantification de la procédure analytique à 0.02 %. Pour chaque point de stabilité, une solution a été préparée à partir de deux comprimés et injectée une seule fois. Les taux de dégradation reportés dans le Tableau 1 correspondent à une quantification par normalisation interne des pics d’intérêts (principe actif et 3 produits de dégradation). Le point à t0 a été tripliqué afin déterminer la déviation standard de la méthode à renseigner dans le logiciel.

 

Stabilité : Tableau 1
Tableau 1 : Pourcentages de dégradation obtenus pour une impureté spécifiée à 0,2 %

 

 

La modèle construit avec les données du tableau 1 donne les paramètres suivants pour l’équation d’Arrhenius :

• LnA : 30,01 ± 6,4

• Ea : 99,42 ± 18,7 kJ.mol-1

• B : 0,03 ± 0,1

avec des coefficients d’ajustement du modèle de 0,997 pour R2 et 0,987 pour Q2.

Le taux de dégradation en fonction du temps pour une condition donnée de température et d’une humidité relative est déterminé à partir des paramètres de l’équation d’Arrhenius modifiée (Figure 6). L’intervalle de prédiction, construit à partir de la densification statistique, est important mais il convient de garder à l’esprit qu’il correspond à une extrapolation à 1 an des valeurs obtenues sur 14 jours de vieillissement. La durée de péremption à retenir correspond à l’intercept de la limite haute de la prédiction (courbe verte) avec le taux de dégradation représenté par la spécification (ligne jaune).

 

Stabilité : Figure 6
Figure 6 : Profil de dégradation en milieu ouvert à 25°C/60%HR (la courbe bleue représente le taux de dégradation moyen et les courbes verte et rouge à l’intervalle de prédiction)

 

 

A partir du modèle établi en milieu ouvert, et une fois les données relatives à la composition de la formulation et à la teneur en eau initiale des comprimés intégrées, l’impact de différents conditionnements est simulé in-silico. Le Tableau 2 présente les durées de péremption estimées pour différents conditionnements.

 

Stabilité : Tableau 2
Tableau 2 : Péremptions prédites pour différents conditionnements

 

En cas de présence de plusieurs produits de dégradation, un modèle doit être construit pour chaque produit de dégradation, et c’est le produit de dégradation le moins stable au regard de sa spécification, donc avec la péremption la plus courte, qui correspond à la péremption à prendre en compte pour le produit étudié.

 

6. Domaines d’applications des APS et recevabilité réglementaire

Les études de stabilités accélérées prédictives peuvent être utilisées pour répondre à différents cas de figure et pour supporter différents points au cours du cycle de vie du produit. Ainsi elles peuvent être utilisées pour :

• Déterminer les dates de retest des principes actifs et les péremptions des formes pharmaceutiques destinées aux études cliniques. Il est recommandé de ne pas dépasser 12 mois de péremption, ce qui s’avère généralement suffisant pour initier une étude clinique de Phase I ou Phase II. Le suivi du lot clinique dans des conditions de stabilité ICH et une adéquation entre les résultats obtenus et les valeurs prédites permet ensuite d’étendre la retest date ou la péremption,

• Comparer des lots de principe actif afin d’évaluer l’impact d’un changement dans le procédé de synthèse ou du taux d’amorphe pour un produit cristallisé,

• Comparer différentes formulations afin de sélectionner rapidement la plus stable d’un point de vue chimique,

• Evaluer l’impact d’un changement de fournisseur d’excipient ou d’une modification de procédé sur la stabilité de la forme pharmaceutique,

• Évaluer in-silico de nombreux conditionnements afin de sélectionner les plus adaptés à la conservation du produit et justifier, lorsqu’un déshydratant est nécessaire, sa nature et la quantité nécessaire,

• Renforcer l’argumentation scientifique apportée dans les dossiers d’AMM, vis-à-vis des points précédents,

• Évaluer l’impact des excursions de température sur la conformité du produit.

Ces exemples d’application montrent que les études de stabilités accélérées prédictives s’inscrivent complètement dans la démarche ‘Quality by Design’ décrite dans la ligne directrice ICH Q8(R2) sur le développement pharmaceutique en apportant une meilleure connaissance du comportement du produit et de son procédé de fabrication(13). Elles permettent également, pour ce qui concerne la stabilité chimique des principes actifs et des formes pharmaceutiques, une évaluation des risques basée sur les connaissances scientifiques comme le préconise la ligne directrice ICH Q9 sur le management des risques qualité(14). De ce fait, ces études prédictives représentent un outil performant utilisable ou mobilisable tout au long du cycle de vie du produit comme décrit par l’ICH Q10(15).

Une enquête publiée en 2020(16), réalisée auprès des industriels utilisant les méthodologies accélérées prédictives, présente une vingtaine de cas d’études ayant été incorporées dans des dossiers d’enregistrement. Alors que la proportion d’études acceptées pour soutenir une péremption initiale est très importante, il y est constaté que l’acceptabilité directe des études de stabilité accélérées prédictives sans demande de données additionnelles est très dépendante des pays dans lesquels les dossiers ont été déposés.

 

Conclusion

Les études de stabilités accélérées prédictives permettent de modéliser la dégradation chimique des principes actifs et des formes pharmaceutiques ce qui correspond au principal risque patient. Même si elles ne permettent pas de modéliser tous les tests et essais d’une monographie, des travaux ont reporté leur utilisation pour la modélisation de l’évolution de la couleur des comprimés et dans une moindre mesure du test de dissolution. Elles peuvent être utilisées pour obtenir rapidement des informations utiles pour orienter le développement des produits tout en nécessitant moins de ressources matérielles et humaines.

Le recours aux études de stabilités prédictives au cours du développement pharmaceutique s’inscrit donc totalement dans les concepts de ‘Quality by Design’ et de ‘Life Cycle Management’. Gageons que les lignes directrices ICH relatives aux stabilités évolueront prochainement afin proposer de prendre en compte ce type d’études et de bénéficier pleinement des gains qualitatifs qu’elles permettent de générer.

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Photo MF

Marc François – Servier

Directeur scientifique au sein du Pôle d’EXpertise Développement Pharmaceutique du groupe Servier Marc FRANCOIS a dirigé plusieurs départements analytiques. Il est en charge de la recherche et de l’implémentation d’outils de prédiction pour les analystes comme pour les formulateurs, ainsi que du management d’équipes transverses sur des problématiques spécifiques ou d’actualité (propriétés fonctionnelles des excipients et des articles de conditionnement, dioxyde de titane, nitrosamines, …)

marc.francois@servier.com

Acronymes

AMM : Autorisation de Mise sur le Marché

APS : Accelerated Predictive Stability ASAP : Accelerated Stability Assessment Program

DVS : Dynamic Vapor Sorption

ICH : International Council for Harmonisation of Technical Requirements for Pharmaceuticals for Human Use

MVTR : Moisture Vapour Transmission Rate

T/HR : température et humidité relative

Références

(1) : ICH Q1A(R2) : Stability testing of new drug substances and products, 2003
(2) : ICH Q1E : Evaluation of stability data, 2003
(3) : Arrhenius S.A., “Über die reaktionsgeschwindigheit bei der inversion von rohrzucker durch saüren”, Z Physik Chem, 1989
(4) : Porter W.R., “Thermally accelerated degradation and storage temperature design space for liquid products”, J Val Technology, 2012 – 18(3) p 73-92
(5) : Waterman K.C. and Adami R.C., “ Accelerated aging: prediction of chemical stability of pharmaceuticals”, Int. J. Pharm., 2005 – 293(1-2) p 101-125
(6) : Genton D. and Kesselring U.W., “Effect of temperature and relative humidity on
the stability of nitrazepam in solid state”, J Pharm Sci,1977 – 66(5) p 676-680
(7) : Waterman K.C., Carella A.J., Gumkowski M.J., Lukulay P., MacDonald B.C., Roy M.C. and Shamblin S.L., “ Improved protocol
and data analysis for accelerated shelf-life estimation of solid dosage forms”, Pharm Res, 2007 – 24(4) p 780-790

(8) : FreeThink Technologies, https:// freethinktech.com
(9) : Clancy D., Hodnett N., Orr R., Owen M. and Peterson J., “Kinetic model development for accelerated stability studies”, AAPS PharmSciTech, 2017 – 18(4) p 1158-1176

(10) : Qiu F. and Scrivens G., “Accelerated Predictive Stability – fundamentals
and pharmaceutical industry practices”, Academic Press, 2018
(11) : J. F. Young; Humidity Control in the Laboratory using Salt Solutions – A Review – J. Appl. Chem, 1967, vol 17, September,
p 241-245.
(12) : L. Greenspan; Humidity Fixed Points
of Binary Saturated Aqueous Solutions – J of Research of the National Bureau of Standards – A Physics and Chemistry – 1977, vol 81 A, p 89-96.
(13) : ICH Q8 (R2) : Pharmaceutical development, 2009
(14) : ICH Q9 : Quality risk management, 2005
(15) : ICH Q10 : Pharmaceutical quality system, 2008