Gestion des tensions d’approvisionnement durant la crise sanitaire. Retour d’expérience Aspen/Pall Corporation.

Interview d’Arnaud Beaudouin, Supply Chain & Procurement Director, Aspen Notre-Dame-de- Bondeville et de Jean- Luc Dupire, Sales Director, Pall Corporation, Division Biotech.

Gestion Approvisionnement Crise Sanitaire
Pouvez-vous présenter la société Aspen ainsi que l’activité du site de Notre-Dame-de-Bondeville ?
ASPEN est un groupe Sud-africain dont le siège est basé à Durban, fournisseur de produits pharmaceutiques de marque et de générique. Les produits Aspen sont vendus dans plus de 150 pays à travers le monde répartis en 3 familles thérapeutiques : anti-thrombotiques, anesthésiques, cytotoxiques. ASPEN possède 16 sites de fabrication de produits pharmaceutiques sur 6 continents (Amérique du Nord et Sud ; Asie ; Afrique ; Europe ; Océanie) dont 1 site ASPEN en France (Notre- Dame-de-Bondeville). Le groupe ASPEN emploie plus de 9800 collaborateurs dans le monde. Le site d’ASPEN Notre-Dame-de-Bondeville, situé près de Rouen en Normandie, est spécialisé dans la production de :
  • seringues préremplies en produits finis (nous réalisons les opérations de purification de l’API, formulation/remplissage, mirage, packaging et distribution), environ 180 M d’unités sont produites et expédiées chaque année ;
  • anesthésiques unidoses (en Blow Fill Seal) et polybags pour un volume total annuel d’environ 46 M d’unités.

Structuré comme une véritable business unit, il dispose des principaux certificats délivrés par les autorités de santé (France, Etats-Unis, Japon, Brésil, Russie…). Il est également certifié ISO 14001 (Système de management environnemental), 45001 (Système de management de la santé et de la sécurité au travail) et 50001 (Système de management de la performance énergétique). 750 personnes y travaillent.

 

Est-ce qu’Aspen a beaucoup souffert de la tension en approvisionnement depuis le début de la crise sanitaire ?

Oui, comme je pense l’ensemble des industriels (pharma ou non), le site ASPEN a dû gérer quelques pénuries sur différentes catégories d’achats et cela dès le démarrage de la crise Covid-19. La guerre des masques pour commencer s’est ensuite étendue à l’ensemble des Equipements de Protection Individuelle (EPI) comprenant aussi les tenues d’habillage pour la production (blouses, surchausses, gants…). Nous avons aussi géré des flux tendus pour quelques-uns de nos composants nomenclaturés (utilisés dans la réalisation de nos produits). Nous avons été amenés à engager des stratégies de double sourcing pour des composants nécessitant peu d’efforts de validation et gérer des délais d’approvisionnements plus longs que ceux validés contractuellement. Enfin, nos politiques de stocks ont aussi été recalibrées.

Nos produits sont utilisés dans le traitement des patients atteints de la Covid-19 et placés en réanimation, ils sont aussi considérés comme des Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM). Dans ce cadre, nous nous devons absolument de sécuriser notre chaîne d’approvisionnement et nos principaux partenaires connaissent cet impératif. Globalement et avec le recul, je me dis que nous avons eu un très bon répondant de la part de nos fournisseurs qui ont su se mobiliser afin de sécuriser notre chaîne d’approvisionnement. Dans le début de crise, nous avons aussi pu communiquer avec eux sur nos différents protocoles et organisations pour assurer le bon fonctionnement de nos entreprises respectives. Nos fournisseurs ont fait preuve de flexibilité, d’agilité mais aussi de beaucoup de transparence, atout majeur en cas de tensions d’approvisionnements. Je veux ici les remercier.

 

Pourquoi avez-vous décidé de travailler avec Pall de façon rapprochée pour gérer cette “crise”?

Les composants livrés par Pall sont considérés comme critiques car nécessaires pour notre phase de répartition. Les dispositifs Pall sont enregistrés dans les dossiers réglementaires. Au début, nous avons observé des augmentations de temps d’approvisionnement qui ont été gérés, puis nous avons par la suite eu des reports de commandes, entraînant mécaniquement des prévisions de ruptures de stock et donc des arrêts de nos lignes de fabrication, avec potentiellement des conséquences sur nos volumes livrés dans les marchés et un impact potentiel direct pour nos patients. Il apparaissait évident de travailler de façon rapprochée avec les équipes Pall, le maillage était déjà bien établi même avant la crise Covid-19.

 

Pouvez-vous décrire concrètement les actions mises en place chez Aspen avec Pall pour résoudre cette problématique ?

Initialement, nous avions peu de visibilité sur nos besoins et le niveau de stock était faible. Un process d’escalade interne a alors été activé partant de l’approvisionneur en passant par le support acheteur, senior manager achats en charge de cette famille d’article, jusqu’au directeur supply chain & procurement et directeur du site. Des réunions régulières (hebdomadaires puis bi mensuels) ont été organisées entre les équipes Pall et les équipes ASPEN. Ces meetings conviaient de part et d’autre, la logistique/achats/administrations des ventes, la technique et les experts, la production et la qualité.

Les objectifs de ces réunions étaient de :

  • monitorer le flux de chaque composant et projeter nos plans de productions/expéditions sur la base des plans de réapprovisionnements transmis par Pall et mettre le focus sur les références les plus tendues ;
  • lancer un calcul de réapprovisionnement sur la base des stocks, plans de réapprovisionnements Pall, projection de consommation par la production (MRP) ;
  • procéder si possible à des swaps (réallocations entre références tout en utilisant la même capacité industrielle, modification des quantités et délais, modification ponctuelle des MOQ/IOQ) ;
  • identifier les alternatives possibles (dual sourcing et validation associée) sur certains articles constituant le matériel Pall (tubing, connecteur…) ;
  • proposer puis valider des dérogations (comme des expéditions Pall sous quarantaine) pour travailler en temps masqué par exemple (autorisation d’expédition avant le rendu des contrôles endotoxines) ;
  • mettre en place les actions logistiques du dernier kilomètre (coordonner l’ensemble des acteurs du flux) en activant des taxis si nécessaire et en mettant en place des procédures de réception accélérées sur site ;
  • produire un compte rendu (sous la forme d’un tracker appro) destiné aux deux organisations et surtout à destination du top management Pall et ASPEN.

J’animais enfin une réunion au niveau top management (Pall et ASPEN) chaque fin de semaine pour faire le bilan, donner plus de perspectives sur nos prévisions de productions/ventes, partager nos difficultés et conséquences selon la situation à date, collecter les nouvelles informations Pall…). Parmi l’ensemble de ces gouvernances mises en place, nous devions assurer un alignement total entre les différentes organisations (One voice, one picture, same priority and focus).

 

M. Dupire, de manière générale, pouvez-vous nous présenter la stratégie de Pall pour répondre à la demande grandissante du marché ?

Nous avons observé une croissance régulière des besoins en systèmes à usage unique, la demande a explosé depuis la crise de la Covid-19 et la course à la fabrication des vaccins. Début 2021, Pall Corporation a annoncé des investissements importants (114 Millions de dollars) afin d’augmenter ses capacités de production pour répondre à la demande du marché. Ceci se traduit par des recrutements massifs au sein des usines de fabrication existantes (production en continue sur 24h et tous les jours), des extensions d’usines (en Chine et aux Pays-Bas) ainsi que l’ouverture d’une nouvelle usine aux Etats-Unis, complètement dédiée à la fabrication des systèmes à usage unique AllegroTM. Avec 5 sites de production sous le même système qualité, Pall rapproche ses sites de production de ses clients pour offrir plus de flexibilité locale et une meilleure sécurisation des approvisionnements.

 

M. Beaudouin, si vous deviez résumer, quelles ont été les 3 clés de la réussite de votre plan d’actions avec Pall ?

Pour ma part, je distingue 3 facteurs clés de succès dans le management de cette crise :

  • Des gouvernances régulières à différentes niveaux des organisations qui ont fédéré les équipes et qui ont permis d’échanger des informations avec une bonne fréquence et assurer un bon alignement entre les acteurs.
  • Une agilité et une bonne vitesse d’exécution dans la validation de dual sourcing de certains composants entre l’idée et sa mise en œuvre concrète.
  • Transparence à la fois sur nos besoins court/moyen/long terme (quantités et délais) et sur les plans de réapprovisionnements communiqués par Pall.

 

Quelles sont les leçons tirées de ce partenariat selon vous ?

La clé réside surtout dans l’anticipation et dans le respect de certaines bonnes pratiques de gestion à garder à l’esprit, particulièrement en ces temps de fortes tensions.

  • Anticiper au maximum. Il est nécessaire de donner de la visibilité, aussi, nous envoyons désormais des plans prévisionnels sur un horizon 24 mois, ce que nous demandons également à nos clients qui comprennent parfaitement le besoin. Nous sommes très attentifs à la volatilité de la demande.
  • Maintenir le contact avec nos fournisseurs. Assurer une communication régulière avec nos fournisseurs pour disposer des bonnes informations quasi en temps réel, anticiper tout risque de rupture dans notre activité du fait de leurs contraintes de livraison. Des cellules dédiées chez certains de nos fournisseurs sont en place pour gérer les demandes au fil de l’eau et au cas par cas.
  • Eviter les surstocks. Inutile de surestimer ses besoins, il faut le juste besoin (la bonne quantité et le bon délai) pour éviter de générer des effets pervers dans la supply chain, “jouer collectif”.
  • Etudier de nouveaux moyens pour s’approvisionner. Nous savons que des augmentations de capacités de production sont en cours ou prévues pour la fin d’année, la situation semble devoir se prolonger dans les prochains mois. Il est donc indispensable d’envisager toutes les pistes adaptées à nos productions. Par exemple, l’achat des composants plutôt que de systèmes intégrés peut réduire de façon substantielle les délais de livraison.

 

Outre une résolution des problèmes d’approvisionnement, est-ce que ce travail a fait évoluer votre relation client-fournisseur ?

Je trouve que nous avons désormais une meilleure compréhension de nos enjeux et nos contraintes respectives. La relation client / fournisseur s’est vue renforcée grâce à une communication multi-niveaux efficace et bien dosée. Au-delà de cette gestion de crise (qui reste malgré tout encore d’actualité), nous avons décidé d’instaurer un Business Review Meeting annuel afin de partager des éléments de business, regarder les performances qualité et supply, échanger sur nos stratégies, discuter de certaines innovations technologiques applicables à nos procédés et nous projeter ensemble sur un horizon à 3 ans minimum.

 

En tant que Directeur de la Supply Chain et Achats, avez-vous un message à faire passer aux fournisseurs ?

Pour ceux qui travaillent directement ou indirectement avec ASPEN et ASPEN Notre-Dame-de-Bondeville, j’aimerais tout d’abord les remercier. Je sais que les derniers mois n’ont pas été de tout repos mais je dois dire que nous avons collectivement réussi à relever de nombreux challenges et ainsi évité des arrêts de lignes et des ruptures marchés liés à des pénuries d’approvisionnements en matériels et composants. Cette période de crise nous a appris à nous surpasser, à être créatifs, résilients et disruptifs. En tant que laboratoire pharmaceutique produisant des Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM), en cas de défaillance de livraisons de la part de nos fournisseurs, nous devons absolument être informés pour prendre des dispositions en matière d’organisation mais aussi afin de prévenir nos autorités de santé le cas échéant. La transparence, la visibilité des plans, des communications soutenues et la stabilité des informations sont des éléments majeurs.

 

En tant que Directeur de la Supply Chain et Achats, est-ce que vous anticipez une évolution de votre métier suite à cette crise sanitaire ?

La balance entre niveaux de stocks dynamiques et ajustés (en général les plus bas possibles) et taux de service clients les plus élevés restera toujours LE dilemme dans mon métier. L’approche risque va se développer (security of supply) et prendra une place très importante dans nos orientations, nos choix. Nous serons également très vigilants aux montages des supply chains de nos fournisseurs et favoriserons très probablement le dual sourcing pour nos références les plus stratégiques.

 

Quels sont les futurs projets de développement d’Aspen ?

Sur le site d’ASPEN Notre-Dame-de-Bondeville, nous disposerons sous 12 mois d’une plateforme industrielle très performante dans la production de seringues stériles injectables. Une nouvelle ligne de remplissage et de mirage haute cadence sont en cours de démarrage et vont venir compléter notre dispositif existant portant ainsi notre capacité totale à 380 millions d’unités par an. Notre stratégie est de mettre à disposition nos capacités de production et donc de développer notre activité de Contract Manufacturing Organisation. Enfin, nous venons d’écrire notre nouvelle vision site. Elle repose sur 4 grands axes : l’Excellence, des Partenariats, la Responsabilité et la Fierté d’appartenance. Cette nouvelle feuille de route va animer le site pour les 3 prochaines années, faisant d’ASPEN Notre-Dame-de-Bondeville, un partenaire fiable et engagé pour des produits stériles d’excellence, plaçant nos valeurs humaines et notre ambition d’excellence au service de la vie.

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Beaudouin Vague 71 A3p

Arnaud BEAUDOUIN – Aspen Notre-Dame-de-Bondeville

abeaudouin@fr.aspenpharma.com

Dupire Vague 71 A3p

Jean-Luc DUPIRE – Pall Corporation

jean-luc_dupire@pall.com

Acronymes

IOQ : Incremental Order Quantity
MRP: Material Requirements Planning
MOQ : Minimum Order Quantity