Investigation à distance, une option depuis la crise sanitaire.

Le cas d’étude qui sera notre leitmotiv tout au long de l’article concerne un fill test de routine (i.e. annuel) qui a été déclaré non conforme sans une identification claire de root cause. Les différents media fill test réalisés auparavant ont toujours été conformes et confirmaient la maîtrise des conditions aseptiques.

Investigation A Distance, Une Option Depuis La Crise Sanitaire

Le laboratoire a réalisé un inventaire exhaustif de la configuration des installations utilisées et des situations de risque de perte d’asepsie suivant la méthodologie des 5M. Cet état des lieux n’a pas abouti à un plan d’actions pour une remédiation avant exécution d’une nouvelle série de simulations aseptiques. Le laboratoire a fait appel à un tiers pour participer à l’investigation comme arbitre dans la recherche de la maîtrise de l’Assurance de la Stérilité. Compte tenu de la situation sanitaire Covid-19, notre intervention, initialement prévue sur site, s’est transformée en une enquête à distance. Celle-ci a été couronnée de succès grâce au concours du laboratoire et aux moyens de communication ayant été mise en place.

Cet article présente l’enseignement à retirer à la suite de cette expérience.

1. Les différences

Tout d’abord, parlons des différences entre une enquête classique et une enquête à distance. Pour une investigation dans le contexte décrit précédemment, il est important de pouvoir apprécier concrètement les locaux de production et les équipements mis en œuvre pour la fabrication et la mise sous forme pharmaceutique. Dans une investigation à distance, l’observation des installations et des pratiques n’est pas accessible directement. L’appropriation des évènements et la recherche des causes possibles nécessitent des moyens astucieux d’accéder aux données et aux informations pertinentes pour mener l’investigation avec la qualité requise au nom de l’Assurance de la Stérilité. L’enquête se base principalement sur les interviews des différentes personnes clefs concernées par les évènements survenus. Ces interviews permettent d’alimenter le dossier d’investigation.

Dans un travail d’enquête, le partage avec les personnes du site est essentiel que ce soit in situ ou à distance. L’avantage d’être sur place est l’interactivité et la réactivité accrue auprès des interrogés. Le langage corporel (body langage) et les comportements lors des interviews peuvent apporter des informations à propos des données récoltées. Ils sont d’une certaine manière une métadonnée, c’est-à-dire une donnée servant à définir ou décrire une donnée d’investigation dans le cas présent.

Dans le cas des interviews à distance, les discussions ne permettent pas de lire les réactions dans la gestuelle prise. Par ailleurs, le port du masque ne permet pas non plus de décrypter les réactions sur le visage des personnes et cela est vrai que les interviews aient lieux à distance ou in situ. En situation de Covid-19, le port du masque rend cette capture de métadonnées quasi impossible. Les enquêteurs devront choisir entre le collectif ou l’individuel qui permettrait d’avoir les conditions sanitaires requises pour éviter le port du masque et ainsi capter le body langage. Dans le cas de l’interview collectif, les enquêteurs sont privés de cette partie d’information et n’ont donc aucune possibilité de confronter des réactions et de statuer sur la justesse des données fournies. Dans tous les cas, l’approche de recueil doit s’appuyer sur la technologie de conversation télévisuelle (voir section ci-après).

2. Ce qui est comparable

Comme il y a des différences, il y a aussi des caractéristiques comparables entre une enquête classique et une enquête à distance. Celles-ci sont les atouts qui promeuvent l’analyse télévisuelle en donnant souplesse et adaptabilité aux intervenants.

Tout d’abord notons cette volonté partagée entre les différents intervenants de résoudre le problème ensemble que ce soit à distance ou sur site. La distance est un élément relatif grâce à la technologie d’aujourd’hui où la voix et l’image rendent le partage possible des éléments d’entrée (problem statement) et des données supportant le problème à résoudre. C’est l’intérêt premier des participants de fournir tous les éléments nécessaires à l’investigation dans les mêmes conditions et qualité à distance qu’in situ. Le support est évidemment électronique en cas d’enquête à distance ou le devient par nécessité de la distance par le scanning des supports.

La revue des documents, en cours d’investigation, reste inchangée avec possibilité de co-lecture avec un expert local avec ou sans présence d’un représentant d’Assurance Qualité. Le document est alors partagé sous une application de bureau à distance et l’expert explique le contenu, tout en faisant défiler le document en question. Cet échange entre expert et investigateur est tout à fait comparable par rapport à une situation d’audit sur place.

3. Comparaison avec les inspections règlementaires à distance ?

Notre expérience est à mettre en parallèle avec les inspections réglementaires à distance (Remote Inspections) sur la base de Guidelines associées (e.g., PIC/s, FDA, PMDA, MHRH). L’investigation menée sur le MFT non conforme se rapproche du modus operandi des inspections règlementaires pour des audits à distance. Elle requiert une préparation accrue des supports de partage et la mise en place d’un environnement virtuel (cloud) sécurisé (sharepoint) pour déposer en temps réel les documents demandés. Dans le cas des inspections règlementaires, il faudra éviter de partager son environnement serveur ou sa gestion documentaire. Il est important de répondre précisément aux questions posées et aux demandes de documents. Il faut conserver l’organisation du front-office versus back-office. Un élément utilisé par les inspections réglementaires à distance est la revue des rapports d’inspection antérieurs des autorités locales.

4. Les facteurs clefs de succès

Aux vues des éléments détaillées ci-dessus, nous pourrions croire que l’enquête à distance ne présente pas d’obstacles insurmontables pour une investigation pertinente d’une problématique particulière ou de la maitrise des opérations en général. En réalité, les différences décrites précédemment sont handicapantes si la technologie ne vient pas à la rescousse. Les facteurs clefs de succès requièrent un temps de préparation pour le partage à distance et des moyens technologiques adaptés à ce type de travaux.

Tout d’abord, une enquête à distance ne peut pas se faire seul. Il faut au moins un binôme avec des rôles bien définis (un leader et un support) pour réaliser pleinement l’investigation et les interviews. L’utilisation des outils de visioconférence nécessite une attention plus importante que dans le cas d’une réunion plénière. Il est donc important de séparer les rôles de leader/animateur et de support. Idéalement les deux enquêteurs doivent avoir des cursus professionnels complémentaires et des expertises communes.

Dans notre exemple, le leader menait les discussions, orientait le cours de l’investigation pendant que le support avait la charge de capturer les informations et croiser les données pour mettre en évidence les incohérences et les points à éclaircir. A tour de rôle, les questions sont posées par les deux enquêteurs et chacun rédige des minutes (compte-rendu) en vue d’une consolidation des données. Le support est chargé de faire les captures d’écran pendant les interviews et les moments de partage pour disposer de preuves et de données additionnelles à apporter au rapport d’investigation. Ce sont ces captures d’écran qui sont un atout de l’enquête à distance et qui permettent de challenger a posteriori les conclusions entre elles.

Dans notre cas d’investigation sur un MFT non conforme, le binôme doit disposer d’un background commun d’assurance de la stérilité et un benchmark large sur les infrastructures et équipements des zones aseptiques. Par ailleurs, les expériences dans la maîtrise de l’asepsie doivent être réparties dans le binôme pour permettre de poursuivre l’investigation avec toute l’agilité requise et sans interruption. Les différentes thématiques associées à cette maîtrise sont de façon non exhaustive les technologies barrières, la stérilisation des composants, le monitoring environnemental, les contrôles microbiologiques, les flux d’entrée et de sortie des zones, les pratiques aseptiques, etc. Une prise de connaissance des données d’entrée en avance de phase et pendant l’investigation est nécessaire et donc le laboratoire doit les transmettre ou les déposer dans un environnement partagé (sharepoint). A l’instar d’une inspection règlementaire, plus le circuit de mise à disposition des documents, informations et données est agile et rapide, plus l’enquête à distance gagne en efficacité et est comparable à une enquête classique. Cette fluidité n’est possible que si nous parlons d’un partage transparent et d’une confiance mutuelle. Pour accéder aux zones de production (“scène du crime”), il est fortement recommandé de disposer des technologies récentes de réalités avancées permettant de visualiser les lieux et les situations.

Dans notre exemple, le laboratoire était en mesure de nous faire vivre les locaux de l’intérieur, comme une visite où nous sommes dans les couloirs de production avec accès visuels des zones classées, en particulier B et A. L’usage d’une paire de lunettes avec une réalité augmentée a permis de voir au travers du SME local ou du responsable de zone et de nous indiquer les points sensibles pouvant impacter le résultat non conforme du MFT. L’emploi de cette technologie de Smart Glasses (photo, vidéo, communication) se démocratise au niveau des laboratoires pharmaceutiques. Le revers de la médaille est que les Smart Glasses requièrent une couverture Wifi parfaite des locaux de production (ce qui n’est pas toujours le cas) et de la bande passante tant au niveau du site qu’au niveau du bureau de travail des enquêteurs. Sans un réseau performant en termes de débit descendant et surtout montant, ce type de partage en temps réel en zone s’avère être frustrant et génère des pertes de temps en cours d’investigation. Une autre technologie consiste à digitaliser l’ensemble des locaux de production pour permettre de visualiser un 360° de chacune des pièces en réalité virtuelle accessible depuis un lien “cloud” sécurisé.

Cette visite des locaux peut alors être complète mais elle n’est pas en temps réel. Bien évidemment disposer d’un environnement digitalisé pour une telle visite est une question d’anticipation et de temps de mise en œuvre. Cette capture 360° est un outil qui est utile au-delà des enquêtes, audits et inspections à distance. Elle permet à tous les métiers support d’accéder aux zones de production pour mieux appréhender et comprendre les procédés de fabrication et potentiellement, d’identifier des points d’amélioration.

L’enquête à distance ne peut se limiter à des conférences téléphoniques et impose que les échanges se fassent en vidéo-conférences permettant ainsi la revue des documents avec possibilité de co-lecture avec un SME local. Vous avez compris que l’un des facteurs clefs de succès est structurel et conditionné par les lieux et conditions de travail à distance.

5. Les risques d’échec

Si transparence et confiance ne sont pas de mise, il y a un risque de manipulation des enquêteurs. Si les interlocuteurs souhaitent omettre des informations, il sera plus facile d’y arriver en ayant les enquêteurs à distance.

Un autre risque est de passer à côté de quelque chose de significatif dans le cadre de l’investigation. Les interlocuteurs locaux connaissant bien les éléments présentés et ne seront pas surpris ni interloqués par ce qu’ils présentent alors qu’une tierce personne voyant de visu sera interpellée par une installation, une information inhabituelle.

Cet élément d’appréciation direct par les enquêteurs est plus limité dans le cadre d’une investigation à distance et peut permettre de ne pas voir un élément potentiellement significatif.
Quand on passe dans un atelier, il y a des choses qui attirent l’œil de l’enquêteur de par son expérience. Avec une investigation à distance l’enquêteur ne peut pas constater avec la même vision d’ensemble. L’échec réside principalement dans le manque d’information ou dans la présentation d’une information dans un contexte/environnement partiel.

Conclusion

L’investigation à distance est une opportunité pour le maintien d’activités en période de crise sanitaire. Cependant il est nécessaire de préparer ce type d’intervention afin de garantir l’organisation et les moyens technologiques pour une mise à disposition d’informations de qualité. Ceci est nécessaire pour un bon aboutissement et la pertinence de l’investigation. L’investigation à distance, c’est OUI sous conditions et avec précautions !

Note : Les métadonnées, dans le cas d’une investigation, sont l’indice de pertinence des données de base et du rapport d’enquête. Elles permettent de l’identifier, de le décrire, d’expliquer l’origine de sa création, son utilité et ses destinataires.

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Michel Hertschuh

Michel HERTSCHUH – Aktehom

michel.hertschuh@aktehom.com

Antoine Akar

Antoine AKAR – Humanim